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hypothèses, surtout aux deux dernières ? que pense-t-il sur les moyens d’exécution[1] ? »

À cette communication si précise succéda la lettre non moins formelle du 27 septembre[2]. Produite à la tribune de la chambre des pairs lors de la discussion de l’adresse, cette pièce, on s’en souvient, rencontra une adhésion unanime et coupa court à toute controverse. Pressé par ses adversaires, M. le ministre des affaires étrangères venait de soulever une portion du voile qui couvrait sa politique extérieure, politique que nous mettons aujourd’hui tout entière sous les yeux du public, dont le malheur, en Italie, le tort peut-être, fut de ne s’être pas fait assez tôt et assez complètement connaître. Le gouvernement français appuya ses paroles d’actes plus significatifs encore. Par ses ordres, un corps expéditionnaire fut réuni aux environs de Toulon et de Marseille. Ces mesures étaient prises sans apparat, mais aussi sans mystère.

  1. Lettre particulière de M. Guizot à M. Rossi, 7 septembre 1847.
  2. M. Guizot à M. le comte Rossi. — (Particulière.)
    « Paris, le 27 septembre 1847.
    « Notre politique envers Rome et l’Italie, quelques efforts que fassent nos ennemis de tout genre et de tout lieu pour la représenter faussement, est si simple, si nette, qu’il est impossible qu’on la méconnaisse long-temps. Que veut le pape ? faire dans ses états les réformes qu’il juge nécessaires. Il le veut pour bien vivre avec ses sujets en faisant cesser, par des satisfactions légitimes, la fermentation qui les travaille, et pour faire reprendre à l’église, à la religion, dans nos sociétés modernes, dans le monde actuel, la place, l’importance, l’influence qui leur conviennent. Nous approuvons l’un et l’autre dessein. Nous les croyons bons l’un et l’autre pour la France comme pour l’Italie, pour le roi à Paris comme pour le pape à Rome. Nous voulons soutenir et seconder le pape dans leur accomplissement. Quels sont les obstacles, les dangers qu’il rencontre ? Le danger stationnaire et le danger révolutionnaire. Il y a, chez lui et en Europe, des gens qui veulent qu’il ne fasse rien, qu’il laisse toutes choses absolument comme elles sont. Il y a, chez lui et en Europe, des gens qui veulent qu’il bouleverse tout, qu’il remette toutes choses en question, au risque de se remettre en question lui-même, comme le souhaitent au fond ceux qui le poussent dans ce sens. Nous voulons, nous, aider le pape à se défendre, et, au besoin, le défendre nous-même de ce double danger. Nous ne sommes pas du tout stationnaires et pas du tout révolutionnaires, pas plus pour Rome que pour la France. Nous savons, par notre propre expérience, qu’il y a des besoins sociaux qu’il faut satisfaire, des progrès qu’il faut accomplir, et que le premier intérêt des gouvernemens, c’est de vivre en harmonie et en bonne intelligence avec leur peuple et leur temps. Nous savons, par notre propre expérience, que l’esprit révolutionnaire est ennemi de tous les gouvernemens, des modérés comme des absolus, de ceux qui font des progrès comme de ceux qui les repoussent tous, et que le premier intérêt d’un gouvernement sensé et qui veut vivre, c’est de résister à l’esprit révolutionnaire. C’est là la politique du juste-milieu, la politique du bon sens, que nous pratiquons pour notre propre compte et que nous conseillons au pape, qui en a tout autant besoin que nous. Et non-seulement nous la lui conseillons, mais nous sommes décidés et prêts à l’y aider, sans hésitation aussi bien que sans bruit, comme il convient à lui et à nous, c’est-à-dire à des gouvernemens réguliers qui veulent marcher à leur but, et non pas courir les aventures.
    « Voilà pour le fait général ; je viens aux faits particuliers et aux noms propres. On dit que nous nous entendons avec l’Autriche, que le pape ne peut pas compter sur nous dans ses rapports avec l’Autriche. Mensonge que tout cela, mensonge intéressé et calculé du parti stationnaire, qui veut nous décrier parce que nous ne lui appartenons nullement, et du parti révolutionnaire, qui nous attaque partout parce que nous lui résistons efficacement.
    « Nous sommes en paix et en bonnes relations avec l’Autriche, et nous désirons y rester, parce que les mauvaises relations et la guerre avec l’Autriche, c’est la guerre générale et la révolution en Europe.
    « Nous croyons que le pape aussi a un grand intérêt à vivre en paix et en bonnes relations avec l’Autriche, parce que c’est une grande puissance catholique en Europe et une grande puissance en Italie. La guerre avec l’Autriche, c’est l’affaiblissement du catholicisme et le bouleversement de l’Italie. Le pape ne peut pas en vouloir.
    « Nous savons que probablement ce que le pape veut et a besoin d’accomplir, les réformes dans ses états, les réformes analogues dans les autres états italiens, tout cela ne plaît guère à l’Autriche, pas plus que ne lui a plu notre révolution de juillet, quelque légitime qu’elle fût, et que ne lui plait notre gouvernement constitutionnel, quelque conservateur qu’il soit ; mais nous savons aussi que les gouvernemens sensés ne règlent pas leur conduite selon leurs goûts ou leurs déplaisirs. Nous avons reconnu par nous-mêmes que le gouvernement autrichien est un gouvernement sensé, capable de se conduire avec modération et d’accepter la nécessité. Nous croyons qu’il peut respecter l’indépendance des souverains italiens, même quand ils font chez eux des réformes qui ne lui plaisent pas, et écarter toute idée d’intervention dans leurs états. C’est en ce sens que nous agissons à Vienne. Si nous réussissons, cela doit convenir au pape aussi bien qu’à nous. Si nous ne réussissions pas, si la folie du parti stationnaire ou celle du parti révolutionnaire, ou toutes les deux ensemble, amenaient une intervention étrangère, voici ce que, dès aujourd’hui, je puis vous dire : Ne laissez au pape aucun doute qu’en pareil cas nous le soutiendrons efficacement, lui, son gouvernement et sa souveraineté, son indépendance sa dignité.
    « On ne règle pas d’avance, on ne proclame pas d’avance tout ce qu’on ferait dans des hypothèses qu’on ne saurait connaître d’avance complètement et avec précision ; mais que le pape soit parfaitement certain que, s’il s’adressait à nous, notre plus ferme et plus actif appui ne lui manquerait pas. » (Moniteur, n° 13, du jeudi 13 janvier.)