Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/540

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne nous est pas encore garant de l’avenir. Si elles savent profiter du bon moment, du vent qui souffle et de la bonne volonté de leur souverain, elles peuvent faire un grand pas, un pas immense et inespéré ; mais, croyez-moi, ne leur conseillez pas autre chose, ne les excitez pas outre mesure. Si elles allaient trop loin, vous ne pourriez rien du tout pour les assister, et nous-mêmes, quand nous le voudrions, nous n’arriverions pas à temps.

« — Oh ! assurément.

« Ici encore la conversation a été interrompue par quelques instans de silence[1]… »

L’ambassadeur de France, ayant en occasion de traiter la même question avec un autre membre du cabinet, écrivait quelques jours après :

« Londres, 13 octobre, n° 82.

« J’ai insisté alors sur ces deux points, qu’il fallait calmer les populations et donner de l’activité aux gouvernemens, et sur le danger d’agir précisément dans le sens contraire, donnant à entendre clairement par là que l’Angleterre, jusqu’à présent, n’avait guère satisfait à cette double condition. Les peuples d’Italie, ai-je dit, n’ont pas besoin qu’on les enivre d’éloges et qu’on les pousse sur la place publique ; ils ne sont que trop disposés à bien penser d’eux-mêmes et à prendre de vaines démonstrations, des chants, des danses et des cris de joie, pour des actes d’héroïsme patriotique. Ils ne sont que trop disposés à nous dire : « Faites nos affaires, et faites-nous des complimens. » Les gouvernemens italiens n’ont pas besoin qu’on les rassure ; ils ne sont que trop disposés à se croiser les bras et à attendre leur salut des événemens. Rien ne réussit en ce monde qu’à la condition de marcher au but et de saisir l’occasion. Celle-ci est admirable ; mais toutes les réformes qu’on veut faire devraient être faites depuis trois mois. On ne peut tenir, comme on le fait, des populations en effervescence pendant un temps indéfini, sans qu’il en résulte de graves désordres. Ce que je demande à lord Minto, c’est de presser le pape et de tranquilliser les exaltés.

« — Pourquoi M. Rossi n’agit-il pas dans ce sens ?

« — Il ne fait pas autre chose, mais il est seul sur la brèche. Si vous voulez l’aider, ce sera très bon, bien entendu néanmoins que c’est en ce sens qu’il faut agir, et en ce sens seulement.

« Nous avons alors discuté les réformes de l’état pontifical ; nous sommes tombés d’accord que le memorandum de 1831 posait des bases raisonnables, et que les gouvernemens de Toscane feraient à peu près ce que ferait le pape. »

Cependant le gouvernement français ne crut pas avoir comblé la mesure de ses devoirs parce qu’il avait cherché à calmer la juste irritation de la cour de Rome, à s’interposer entre elle et l’Autriche, à éclairer et à contenir le cabinet anglais. Il fallait prévoir le cas où d’autres inspirations viendraient à prévaloir. Le saint-siège resterait-il suffisamment maître de ses déterminations, résisterait-il toujours et efficacement aux mouvemens irréfléchis de ses populations ? Les commandans

  1. Dépêches de M. de Broglie à M. Guizot, 16 septembre 1847.