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« — Je suis charmé que vous ayez fait choix pour cette exploration d’un homme aussi excellent, d’un homme d’un cœur aussi droit et d’un esprit aussi net. Il trouvera la question de la guerre civile ajournée à Berne, mais seulement ajournée…

« — Et Rome ?

« — Au moment où j’ai quitté Paris, tout allait bien à Rome. Le pape, le parti modéré et le peuple marchaient en bonne intelligence. La garde civique était bien organisée et bien commandée. On paraissait d’accord sur les bases de la réforme du gouvernement pontifical, telles qu’elles sont posées dans le memorandum de 1831.

« — On nous écrit, en effet, que le pape, s’étant fait représenter ce memorandum, a trouvé qu’il répondait parfaitement à sa pensée.

« — Rien n’empêche le pape de procéder immédiatement à l’exécution, car, du côté des Autrichiens, il n’y a point d’opposition à attendre. Le memorandum a été signé par le gouvernement autrichien lui-même ; d’ailleurs, M. de Metternich est trop sensé pour vouloir faire violence au pape et prendre à son égard le rôle de l’empereur Napoléon… Mon inquiétude, ai-je dit à lord Russell, ne porte ni sur Rome, qui va bien, ni sur la Sardaigne, qui est contente, ni même sur Naples, dont le roi est fort en état de se défendre, témoin la facilité avec laquelle les tentatives de Reggio et de Messine ont été réprimées. Il n’arrivera là rien d’alarmant, et cependant il est certain que le mouvement général s’y fera sentir, et que les changemens qui se font à Rome pacifiquement et de gré à gré se feront partout. Nos inquiétudes portent précisément sur Lucques et sur la Toscane, et elles sont de deux sortes : d’une part, il ne parait pas que le parti modéré se soit montré, qu’il se soit placé à la tête du mouvement ; nous ne voyons là qu’une multitude qui crie, qui inonde la rue, et un gouvernement qui cède, qui s’humilie ; d’une autre part, le gouvernement autrichien est à la porte, on l’insulte, on le provoque, on le menace. Il a, d’ailleurs, sur les princes qui gouvernent ces petits états, des droits de famille et des intérêts de réversion qui peuvent lui servir de prétextes. Là est le vrai danger.

« — Sans doute, m’a dit lord John ; Neri Corsini est bien vieux, Gino Capponi est aveugle.

« — Là est le danger, je vous le répète ; car que faire ? Je ne puis que vous dire ce que j’ai déjà dit à lord Palmerston : tout souverain qui serait entravé par une puissance étrangère dans les réformes qu’il médite pour le bien de son peuple, tout peuple qui marchera dans cette voie d’accord avec son souverain, s’il invoque notre appui, est sûr de l’obtenir ; mais, s’il s’agit d’exciter ou de soutenir des populations insensées en révolte contre des princes faciles et bienveillans, s’il s’agit de les soutenir dans l’entreprise plus insensée encore d’attaquer le gouvernement autrichien sur son propre territoire et de fonder un royaume d’Italie ou une république d’Italie, il ne faut pas compter sur nous.

« — Eh ! d’accord ! cela n’aurait pas le sens commun !

« — Par conséquent, dans l’état présent des choses, ce qui est pressant et nécessaire, ce n’est pas d’exciter, mais de calmer les esprits. Pour faire en politique des réformes durables, pour fonder par une révolution quelque chose qui subsiste, il faut deux conditions : du bon sens et de l’énergie, de la prudence et de la persistance. Sous ce double rapport, le passé des populations italiennes