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même modérés, n’osent pas combattre ces idées, tout en les regardant comme impraticables, et peut-être les caressent eux-mêmes au fond de leur cœur avec une complaisance que leur raison désavoue, mais ne supprime pas. Plus d’une fois, déjà, l’Italie a compromis ses plus importans intérêts, même ses intérêts de progrès et de liberté, en plaçant ainsi ses espérances dans une conflagration européenne. Elle les compromettrait encore gravement en rentrant dans cette voie. Le gouvernement du roi se croirait coupable si, par ses démarches ou par ses paroles, il poussait l’Italie sur une telle pente, et il se fait un devoir de dire clairement, aux peuples comme aux gouvernemens italiens, ce qu’il regarde, pour eux, comme utile ou dangereux, possible ou chimérique. C’est là ce qui détermine et la réserve de son langage et le silence qu’il garde quelquefois. Appliquez-vous, monsieur, à éclairer, sur ces vrais motifs de notre conduite, tous ceux qui peuvent les méconnaître, et si vous ne réussissez pas à dissiper complètement une humeur qui prend sa source dans des illusions que nous ne voulons pas avoir le tort de flatter, puisque nous ne saurions nous y associer, ne leur laissez du moins aucun doute sur la sincérité et l’activité de notre politique dans la cause de l’indépendance des états italiens et des réformes régulières qui doivent assurer leurs progrès intérieurs sans compromettre leur sécurité[1]. »

Enfin, la sollicitude éclairée du gouvernement français pour les gouvernemens et les peuples italiens avait dû se porter aussi d’un autre côté. Depuis que nous patronions en Italie la cause des réformes modérées, là, comme ailleurs, l’Angleterre s’était portée la tutrice des opinions ardentes. Exploitant la mauvaise humeur que causait à quelques patriotes inconsidérés notre refus de nous associer au projet extravagant d’une levée de boucliers contre l’Autriche, la plupart des agens consulaires et une foule d’agens obscurs plus ou moins avoués par lord Palmerston s’appliquaient à montrer l’Angleterre comme prête à saisir le rôle que la France, protectrice infidèle et liée, disaient-ils, par d’autres engagemens, n’osait jouer en Italie. Il était nécessaire que le cabinet anglais ne pût se méprendre : sur la ligne de conduite vraiment libérale que nous entendions y suivre, et fût averti des maux qu’il risquait d’attirer sur un pays pour lequel ceux qui parlaient en son nom affichaient tant de sympathie.

Voici, sur ce sujet, un entretien dont l’ambassadeur de France à Londres crut devoir rendre compte à son gouvernement


« Londres, 16 septembre, n° 78.

« … Quelques momens de silence ont suivi cette première partie de notre conversation.

« Je l’ai rompu le premier.

« — Avez-vous, ai-je dit à lord Russell, quelques nouvelles d’Italie ?

« — Non, mais je pense en avoir bientôt ; lord Minto est parti pour Rome ; il passera par Berne, et nous rendra compte de tout ce qu’il aura vu.

  1. M. Guizot à M. de Bourgoing, chargé d’affaires à Turin, 18 septembre 1847.