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féconde le trésor des traditions pures, ce sont ceux qu’il faut aimer et admirer comme donnant la plus réelle marque de puissance intellectuelle. Il leur faut porter le secours de ses sympathies comme à des amis connus ou inconnus, qui de loin répondent à vos vœux les plus intimes, à vos plus exquis besoins d’un idéal épuré et immortel. Il en est sans doute aujourd’hui dans plus d’un genre qui peuvent justifier ces sympathies ; mais n’y a-t-il pas un intérêt particulier dans un exemple exceptionnel et charmant, celui de ce gracieux et inépuisable inventeur méridional qui a rajeuni une langue et s’efforce de lui donner chaque jour un lustre nouveau, à mesure que les circonstances semblent amonceler des ruines nouvelles autour de ce fragment d’une civilisation évanouie ? Tel est Jasmin. Autrefois, il y a plusieurs siècles, — je veux dire plusieurs années, — c’était l’Aveugle, Marthe, les Deux Jumeaux, que Jasmin écrivait sans céder plus qu’aujourd’hui aux suggestions extérieures, sans se laisser asservir aux caprices régnans ; maintenant, c’est la Semaine d’un Fils qu’il achève aux derniers bruits d’un trône écroulé. Poète de la vraie race des poètes, il y rassemble tous les traits de sa poésie spirituelle et touchante ; homme du peuple, du vrai peuple, il peint encore dans ces pages nouvelles ce qu’il sait de cette vie populaire qu’on travestit, et, comme autrefois, pas un vers, pas un mot, dans ce simple et dramatique récit, n’est né au souffle des passions contemporaines. Homme rare ! homme heureux qui ne laisse point la sérénité de son esprit, la vérité de ses inventions dépendre d’une révolution, et qui d’un œil sûr, au sein de nos jours pleins d’orages, sait retrouver la pure inspiration comme un diamant inestimable au sein des mers troublées ! D’ailleurs, n’y a-t-il simplement que l’impulsion du goût littéraire dans ce détachement des choses qui s’accomplissent ? Il y a, il me semble, quelque chose de mieux : c’est un remarquable esprit de conduite, un tact exquis devenu le complice du juste instinct du poète.

Observer un homme dans le cours des circonstances ordinaires, lorsqu’il n’a qu’à laisser se dérouler invariablement sa destinée, quand nulle crise inattendue, nulle péripétie soudaine ne vient provoquer quelque résolution virile, mettre à l’épreuve l’infaillibilité de son sentiment et de son choix, ce n’est point le connaître, ce n’est point avoir sondé le mystère de sa nature morale. Il faut l’avoir vu dans une de ces heures où un souffle de révolution traverse l’atmosphère, où chaque illusion cache un piège, où un sacrifice de plus fait à l’obsession de quelqu’une de ces chimères qui flottent dans l’air peut altérer la dignité et la droiture de toute une vie. Au premier éclat de février, s’il est un homme qui eût pu se laisser entraîner à tenter quelque rôle nouveau et actif, n’était-ce pas Jasmin ? Le peuple triomphait, disait-on : Jasmin n’était-il pas le plus pur, le plus brillant fils du peuple ? L’acclamation publique