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Nous trouvâmes les tentes de la colonne dressées à l’endroit même où la nuit précédente nous avions si vaillamment tenu tête à l’ours gris des prairies. Les émigrans se pressaient autour d’un homme pâle et grelottant qui ne semblait réchauffer qu’avec peine aux feux du bivouac ses membres engourdis. Nous reconnûmes, à notre grande surprise, le malheureux que nous avions laissé pour mort sur les bords de l’Arkansas. La physionomie de cet homme ne prévenait nullement en sa faveur. On lisait sur ses traits ce mélange de ruse et de violence qui caractérise essentiellement les classes dégradées de la population mexicaine. Son costume était celui de ces hardis vaqueros qui s’aventurent souvent à la recherche des chevaux sauvages dans les parties les plus reculées, les moins connues de l’Amérique. Toutefois ses manières à la fois humbles et effrontées indiquaient plutôt un de ces écumeurs du désert dont les rapines audacieuses défient trop souvent l’activité infatigable des riflemen. Nous le questionnâmes avec empressement sur les motifs de la bizarre vengeance dont il avait failli être victime. Il nous répondit que c’était un parti d’Indiens qui, le prenant pour l’éclaireur d’un des nombreux détachemens chargés de la police du désert, avait voulu punir en lui l’auxiliaire des ennemis acharnés de leur race. Nous nous contentâmes de cette explication, bien que l’histoire du Mexicain, débitée rapidement et avec un certain embarras, eût tout l’air d’être arrangée à plaisir. La satisfaction que j’éprouvais d’avoir pu enfin obtenir des indications rassurantes sur la famille du squatter me rendait indifférent à tous les autres incidens de la journée.

Le lendemain, les marches silencieuses recommencèrent à travers le désert. Notre voyage ne devait plus offrir d’épisode remarquable jusqu’au moment de notre arrivée sur le sol de la Californie, où j’allais voir de près les effrayans ravages de ce bizarre fléau que les Yankees nomment la fièvre jaune métallique.


GABRIEL FERRY.