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LES ÉTATS D’ORLÉANS.

Ah ! M. mon frère, voilà donc qui m’explique… Eh bien ! nous y serons ensemble. Je me permets d’en avoir peu d’alarmes… qui sait pourtant ? les femmes sont si bizarres… (Haut.) Bouchard, rendez-moi cette lettre ; je serai de retour dans un instant ; il vaut mieux que je la donne moi-même au roi.

BOUCHARD, rendant la lettre.

J’en suis ravi, monseigneur. Il me coûtait, en vérité, de faire à mon cher maître un si mauvais cadeau.

LE PRINCE DE CONDÉ.

Bouchard, écoutez-moi. Quelles que soient vos terreurs, n’insistez pas plus qu’il ne convient pour amener mon frère à votre avis. Le sien est-il si mauvais ?… Je n’en sais rien. Les gens de cœur doivent toujours y regarder de très près avant de se donner des airs de poltrons. — Avertissez-le que le connétable s’approche, et que je suis allé hors du château lui souhaiter la bien-venue.

BOUCHARD.

Oui, monseigneur.

(Le prince de Condé sort.)



Scène X.

BOUCHARD, seul.

Ouf ! L’ai-je ramené de loin ce beau galant ! lui ai-je administré savamment mon narcotique amoureux ! Parlez-moi d’avoir affaire à ces cœurs enflammés ! — Pour le coup, M. de Lorraine sera content, j’espère ; et son grand dédaigneux de frère, fera-t-il encore le dégoûté ? Jamais ils ne sauront ce qu’ils te doivent, mon pauvre Bouchard ! — J’avoue pourtant que, si la cure est belle, on m’a fourni un bon onguent. Je m’étais bien douté, à voir la rage du vieux hibou, que ce brimborion d’or valait plus que son poids. Comme les yeux lui sortaient de la tête pendant qu’on l’arrachait de son pourpoint ! Que devait-il en faire, lui ? Je n’en sais rien ; mais, moi, je n’en ai pas mal usé. — Maintenant, monsieur le connétable, vous pouvez parler aussi haut qu’il vous plaira, nous sommes cuirassé et à l’abri de votre langue… Eh ! mais, quel est ce bruit de chevaux ?… (Il regarde aux fenêtres de la galerie.) Le connétable !… Laissons-les se fêter, s’embrasser tout à leur aise, et veillons à notre prisonnier. S’il s’échappait, quel remue-ménage !… Voyons si les portes sont bien closes et mes gardiens bien éveillés.