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l’endroit où nous étions. C’étaient l’ours et le buffle annoncés par le Canadien. Comme si notre aspect eût fait comprendre au buffle la honte de fuir plus long-temps, il se retourna brusquement contre son ennemi, et la tête basse, son épaisse crinière balayant la terre, il attendit en poussant un mugissement de défi. L’ours s’arrêta aussi avec un grognement furieux, puis étendit sur les cornes de la victime ses deux puissantes pattes ; nous vîmes le pauvre bison ployer graduellement sur ses jarrets et s’affaisser ; un mugissement de détresse signalait sa défaite, quand le chasseur s’élança vers lui avec de grands cris et fit feu sur le groupe. L’ours, blessé, lâcha prise, et le buffle, profitant de ce court répit, s’élança vers le fleuve, dont il descendit la berge hors de la portée de nos yeux.

— Ah ! s’écria le chasseur, voilà un pauvre diable d’ours qui apprend à ses dépens qu’il y a loin des pattes aux lèvres ; au reste, c’est une expérience dont il n’aura pas le temps de profiter. À vous maintenant, pendant que je recharge ma carabine ; mais ne tirez pas, s’il est possible, car c’est une honte de se mettre trois contre un.

Je mis à mon tour pied à terre en jetant la bride de nos deux chevaux à notre compagnon ; puis, tout en maudissant l’ardeur intempestive du chasseur, je m’efforçai de faire la meilleure contenance possible. À la vue de trois ennemis, l’animal parut hésiter, et cependant le sourd grincement de ses longues dents blanches était effrayant, et le romancier ne contenait qu’à grand’peine son cheval et les nôtres. Bien que l’ours n’avançât pas, il ne reculait pas non plus ; il semblait aspirer une odeur lointaine, et le balancement de sa tête indiquait son indécision. Tout à coup il parut prendre le parti de la retraite, et nous le vîmes disparaître dans la direction qu’avait suivie le buffle. Le chasseur achevait de recharger sa carabine. Cette fuite ne faisait pas son compte, et il s’élança à la poursuite de l’ours en m’invitant à le suivre ; mais, arrivés sur le sommet de la colline que l’animal venait de quitter, nous ne le vîmes plus. Ce ne fut qu’au bout de quelque temps que le chasseur l’aperçut de nouveau. Il avait longé la colline pour gagner au grand trot les bords sablonneux du fleuve, dont il remontait le cours. Évidemment, il semblait encore plutôt chasser que fuir.

— J’ai cependant besoin d’une peau, dit le chasseur, et la sienne fait magnifiquement mon affaire. Il y a dans sa manœuvre quelque chose que je ne comprends pas.

En vain j’alléguai que nous perdions un temps précieux ; le chasseur, emporté par son ardeur, ne voulut rien entendre, et je m’élançai sur ses pas. Nous descendîmes vers les bords du fleuve. La nappe d’eau de l’Arkansas brillait comme de l’argent, et, en suivant des yeux l’ours qui trottait, nous pûmes le voir s’arrêter devant un tronc d’arbre que