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ceux de M. de Chateaubriand ont l’indécision et la mollesse de nos fantaisies de joie ou de chagrin. Ils ne sont même pas des fictions ; ils restent à l’état d’ombres et de rêveries.

Autre reproche : où mettra-t-on ces anges, capricieux enfans du génie de M. de Chateaubriand ? Dans les forêts ? dans le désert ? au milieu des lueurs du matin ou des ombres du soir ? Mais alors, voilà la nature repeuplée comme au temps du paganisme. M. de Chateaubriand fait un mérite au christianisme d’avoir chassé de la nature cette foule de sylvains, de faunes, de dryades, qui ôtaient à la campagne sa beauté et sa grandeur naturelles, qui l’encombraient plutôt qu’ils ne l’animaient. Il préfère aux chants des faunes et des dryades le murmure des vieilles forêts de l’Amérique ; il préfère, en un mot, la nature à la mythologie. Il a raison. Heureux les poètes qui savent entendre et répéter cette voix de la nature qui retentit dans les bruits de la forêt et dans le murmure des eaux ! Heureux ceux à qui Dieu a donné une ouïe merveilleuse et une bouche sonore pour redire les chants divins qu’ils entendent ! Mais il n’est pas permis à tout le monde d’interpréter ainsi les voix de la nature ; il n’est pas permis à tout le monde de faire de sa mélancolie une religion qui remplace les enchantemens du paganisme. Derrière cette mélancolie d’élite, que de mélancolies d’imitation ! que de roucoulemens insipides entendus dans les forêts par je ne sais combien d’oreilles prétentieuses et redits par je ne sais combien de bouches monotones ! Je dois, de plus, faire remarquer que, dans les forêts américaines, dont M. de Chateaubriand a si bien entendu le silence, je n’aperçois ni l’ange de la solitude ni l’ange des rêveries, et je ne m’en plains pas : je crains que tous ces anges ne soient que les pieux remplaçans des faunes et des sylvains. M. de Chateaubriand a baptisé ces demi-dieux ; mais les baptiser, c’est les conserver, c’est montrer qu’ils n’étaient point inutiles et que la poésie aimait à les rencontrer au sein des bois et au bord des ruisseaux.

Il y a une autre réponse à faire à M. de Chateaubriand : les anciens ne mettaient pas des faunes et des sylvains dans toutes leurs forêts ; il y avait des bois, et c’étaient les plus révérés, auxquels ils laissaient la terreur de leur mystérieuse solitude : ceux-là avaient un dieu, mais un dieu inconnu et d’autant plus sacré.

Jam tum relligio pavidos terrebat agrestes
Diva loci…


disait Virgile, quand il faisait parcourir à Énée les collines et les bois du Capitole et de la roche Tarpéienne.

… Jam tum silvam saxumque tremebant,
Hoc nemus, hunc, inquit, frondoso vertice collem
Quis deus, incertum est, habitat deus…