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changement de sentimens et de volonté, où est le drame ? où est l’action ? où est l’intérêt ? La poésie s’accommodait mieux d’un Dieu moins juste et moins inflexible dans ses décrets.

Il est vrai que le Dieu des chrétiens ne change pas de volonté, et qu’il n’a au-dessus de lui aucune puissance ; il n’est pas soumis aux arrêts de cette mystérieuse et aveugle divinité que les anciens appelaient le Destin, et à qui Jupiter lui-même obéissait. Il y a pourtant une force qui fait reculer sa puissance et qui fléchit sa colère. Cette force, c’est la prière et les larmes des mortels. Jéhovah est inflexible contre l’homme qui le brave ; il se laisse émouvoir par l’homme qui le prie. « … La miséricorde éternelle, dit M. de Chateaubriand, marche avec l’éternelle justice. Ce sont là les inconcevables mystères de la grace, les profondeurs impénétrables de la charité divine ; Dieu permet que les prières des hommes ébranlent ses immuables décrets. Magnifique privilège des larmes de l’homme, que pourrait-on vous préférer dans cette odieuse idolâtrie, où les pleurs coulaient vainement sur des autels d’airain, où des divinités inexorables contemplaient avec joie les inutiles malheurs dont elles accablaient les mortels ? Ne renonçons point à nos droits sur les décrets de la Providence ; ces droits sont nos pleurs[1]. » Ainsi, le Dieu des chrétiens se prête à l’épopée par sa miséricorde. Il est dramatique, parce qu’il menace au nom d’une justice souveraine et qu’il pardonne au nom d’une bonté également souveraine.

Dans le merveilleux chrétien il y a d’autres personnages qui se prêtent encore mieux à la passion, et M. de Chateaubriand ne manque pas de citer les démons, car l’enfer a été de tout temps la ressource des poètes chrétiens ; mais la critique ne laissa pas M. de Chateaubriand en possession incontestée même de l’enfer : elle lui chicana jusqu’au diable, qu’elle prétendit, avec quelque raison, imité du titan Encelade caché dans les entrailles brûlantes de l’Etna, et du titan Prométhée qui, lui aussi, donna à l’homme le don de la science, et que Jupiter enchaîna sur le Caucase ; Prométhée, aussi grand dans Eschyle que Satan dans Milton, puni comme Satan, mais inflexible et indomptable comme lui ; Prométhée, enfin, qui dans le paganisme est la personnification de cette révolte contre Dieu, toujours vaincue et toujours indomptée, qui est le caractère même de Satan.

On disputait le diable à M. de Chateaubriand. Il essaya de prendre sa revanche à l’aide des anges ; les anges, gracieux intermédiaires entre l’homme et la divinité. Ici viennent d’autres critiques. M. de Chateaubriand énumère les anges qui sont à la disposition du poète chrétien, brillante armée descendue du ciel, et qui en garde encore l’éclat[2].

  1. Examen des Martyrs.
  2. Videbitis coelum apertum et angelos coeli ascendentes et descendentes. (Saint Jean, 1, 51.)