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les avocats la gâtaient. « J’en veux, disait le grand Condé, j’en veux aux règles d’Aristote d’avoir fait faire une si mauvaise tragédie à l’abbé d’Aubignac. » Le public en voulait aussi au merveilleux chrétien d’avoir inspiré de si mauvais poèmes.

Examinons rapidement les pièces de ce vieux procès entre Boileau et les poètes épiques de Louis XIV. Il est curieux de retrouver les argumens et les idées de M. de Chateaubriand sous la plume de Desmarets et de Boival.

Desmarets se moquait fort de la tentative faite par Boileau dans le genre épique, à propos du passage du Rhin, et il censurait impitoyablement l’invention de ce dieu du Rhin qui s’oppose au passage de Louis XIV. Cette allégorie païenne, dans un sujet tout moderne, choquait à la fois dans Desmarets le littérateur, le chrétien et le courtisan : le littérateur trouvait l’allégorie insipide, le chrétien la trouvait païenne et impie, et le courtisan surtout la trouvait injurieuse à la gloire du roi. C’était, disait-il, diminuer la gloire des actions de Louis que d’y mêler la fable :

Et quand du dieu du Rhin l’on feint la fière image
S’opposant en fureur à ton fameux passage,
On ternit par le faux la pure vérité
De l’effort qui dompta ce grand fleuve indompté.

A ta haute valeur c’est être injurieux
Que de mêler la fable à tes faits glorieux

[1].

C’est peu pour Desmarets d’accuser Boileau d’être quelque peu factieux, il l’accuse aussi d’être hérétique. Il dénonce au roi la fureur des ennemis de l’église, et il le conjure de sauver la sainte poésie :

Toi qui de tant de forts as chassé l’hérésie.

C’est hérésie, en effet, ou plutôt c’est impiété, selon Desmarets, que de

  1. Clovis, épître au roi. — Boileau, qui a eu raison de ne pas corriger le passage du Rhin censuré par Desmarets, profitait pourtant quelquefois des critiques de son adversaire. Ainsi, dans ces quatre vers de l’Art poétique :

    Laissons-les s’applaudir de leur pieuse erreur,
    Mais pour nous bannissons une vaine terreur,
    Et, fabuleux chrétiens, n’allons point dans nos songes
    Du Dieu de vérité faire un Dieu de mensonges ;

    le troisième vers dans les premières éditions se lisait ainsi :

    Et n’allons point parmi nos ridicules songes.

    Desmarets, dans sa critique, se moqua de cette césure : Et n’allons point parmi, ajoutant qu’un tel poète ne devait point s’ériger en docteur de la poésie. Boileau obéit à la critique et corrigea son vers tel que nous le lisons aujourd’hui.