toujours de la religion. Dans la poésie épique même, je prendrai particulièrement ce que j’appelle l’épopée chrétienne, je veux dire le mystère de la rédemption humaine.
Résumons brièvement ce que nous venons de dire. La civilisation juive résiste à la civilisation grecque ; elle y résiste parce qu’elle s’appuie sur la foi religieuse. Vaincus comme nation, les Juifs se relèvent comme église. Le temple soutient l’état. Le judaïsme, cependant, eût succombé et la civilisation grecque l’eût emporté, détruisant les traditions religieuses et poétiques de la Judée, comme elle avait détruit les traditions religieuses et poétiques de l’Asie Mineure, quand le christianisme, en transformant le judaïsme, releva devant la civilisation grecque la digue qui s’écroulait. Chez les chrétiens comme chez les Juifs, la religion soutint la littérature et l’empêcha d’aller se confondre avec la littérature grecque et latine, non pas que cette littérature grecque et latine n’ait exercé une grande influence sur la littérature chrétienne ; mais la littérature chrétienne garda son caractère original et perpétua, en se l’appropriant, l’indépendance de la poésie biblique. Le genre de poésie où cette indépendance éclate le mieux est la poésie épique, parce que c’est aussi dans ce genre de poésie que le merveilleux, c’est-à-dire la foi, est le plus de mise. Il y a surtout un genre d’épopée où le merveilleux chrétien touche au dogme : je parle de l’épopée qui a pour sujet la rédemption chrétienne. C’est cette épopée toute chrétienne dont je veux rechercher les élémens depuis les premiers siècles de l’ère moderne jusqu’à la Messiade de Klopstock, parce que, nulle part, le développement spontané de la pensée chrétienne, à travers l’influence de la littérature grecque et romaine, n’est plus visible, parce que nulle part la poésie ne tient de si près au dogme et n’y puise plus de force pour résister aux traditions étrangères.
Chose curieuse ! la tradition grecque et romaine a tant d’ascendant encore dans la société moderne, qu’il s’est trouvé des grands hommes qui refusaient à l’épopée chrétienne le droit de naître et d’exister. Ils la déclarèrent impossible. Selon eux, la littérature, et surtout la poésie, ne devaient relever que du monde ancien. Le génie poétique n’avait rien à emprunter au christianisme. La foi chrétienne devait régler la conscience ; elle ne pouvait pas, sans s’abaisser et sans se corrompre, inspirer les poètes, et surtout les poètes épiques. Telle est, au XVIIe siècle, l’opinion de Boileau et de la plupart des grands hommes de ce temps. Boileau ne conçoit pas qu’il y ait un merveilleux chrétien. Comme le merveilleux chrétien touche au dogme, il refuse, par respect, d’en