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où vivait une petite nation soumise, depuis sa captivité dans Babylone, à tous les maîtres de l’Asie. Arrivée là, la civilisation grecque s’y installe, comme elle a fait partout, sans prévoir d’obstacles. Elle consacre à Pan et aux nymphes l’antre d’où sort le Jourdain ; elle construit un théâtre à Jérusalem, à Tibériade un palais orné de peintures qui, malgré la défense de la loi de Moïse, représentent des figures d’animaux ; elle place à Joppé, au bord de la mer, la délivrance d’Andromède par Persée, un de ces héros d’Orient que la Grèce s’était appropriés ; elle fonde des villes au sein de la Palestine, Scythopolis entre autres, qui ne manque pas de rapporter son origine à Bacchus ; elle fait adopter sa langue par les Juifs : c’est en grec que les apôtres annoncent l’Évangile au monde ; c’est en grec que Philon et Josèphe défendent la loi judaïque. La civilisation grecque semble avoir vaincu là comme ailleurs, et c’est là pourtant qu’elle vient échouer.

La lutte fut vive entre les deux civilisations. La civilisation juive n’a point la force qui attire, mais elle a la force qui repousse ; elle n’est pas faite pour conquérir, mais pour résister. L’esprit grec s’approprie les élémens qui lui sont étrangers ; l’esprit juif rejette obstinément tout ce qui n’est pas juif. L’esprit grec est souple et facile, il est fait pour s’étendre ; l’esprit juif est raide et inflexible. Chez les Juifs, rien ne change la loi ne suit pas les caprices du peuple ; elle est écrite dans le livre que Dieu même a donné à son peuple ; elle est immuable et sacrée ; elle est confiée à la garde d’une tribu, qui elle-même est la tribu sacrée, et qui est séparée de tout le peuple. Les lévites ne prennent de femmes que parmi les filles des lévites[1]. Cette loi, transmise ainsi de générations en générations, contient toute la religion, toute la philosophie, toute la politique et toute l’histoire primitive du peuple juif. Il n’est pas permis d’y rien ajouter, ni d’en rien retrancher. Les enfans l’apprennent dès leurs premières années, en apprenant à lire ; les hommes et les vieillards la lisent et l’étudient sans cesse. « Les autres peuples, dit Josèphe[2], mettent leur gloire à changer de lois et de coutumes ; nous mettons la nôtre à garder inviolablement les institutions de nos pères, et nous mourons avec joie, s’il en est besoin, pour les maintenir. » — « Que la Grèce s’enorgueillisse de ses poètes, de ses orateurs et de leur beau langage, le Juif est fier de posséder la vérité ; il la tient

  1. « Ceux qui exercent le sacerdoce ne peuvent se marier qu’à des femmes de la même tribu… Il faut avoir une preuve constante par nombre de témoins qu’elles sont descendues de l’une de ces anciennes familles de la tribu de Lévi… Que s’il survient quelque guerre, les sacrificateurs dressent sur les anciens registres de nouveaux registres de toutes les femmes de race sacerdotale qui restent encore, et ils n’en épousent point qui aient été captives, de peur qu’elles n’aient eu quelque commerce avec des étrangers. » (Josèphe contre Apion, liv. Ier, chap. II.)
  2. Josèphe contre Apion, liv. II, chap. VI.