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Si l’on veut se faire une idée des inconvéniens du mode sommaire d’administration porté à l’excès, il faut lire le rapport présenté au parlement[1] par la commission d’enquête sur les ports à marée de la Grande-Bretagne. On trouve groupés, comme à l’envi, dans cette affaire, les abus les plus préjudiciables au bon ordre, à l’intérêt public, et les plus contraires à la moralité.

En Amérique, les affaires de la marine sont l’objet en 1844 d’une sorte d’enquête du congrès. La commission fait un rapport où se trouvent des appréciations comme celle-ci : « La faveur populaire dont jouit la marine ne durera qu’autant qu’on corrigera les erreurs qui se sont introduites dans le maniement de ses affaires. Trop d’indulgence lui serait funeste. La commission ne saurait mieux montrer la sincérité de ses sentimens pour la marine qu’en signalant la prodigalité de ses dépenses[2]… » La même commission demande que les garde-magasins soient rendus réellement responsables des matières dont ils sont chargés.

Pendant ce temps-là, nous appliquons ici la loi sur la comptabilité des matières, et des hommes éminens par leur savoir et par la position qu’ils occupent signalent ce régime comme funeste à l’avenir de la marine où il sacrifie le fond à la forme, l’action à la constatation.

La conclusion que nous tirerions volontiers de toutes ces contradictions que se renvoient l’un à l’autre les trois pays, c’est que tout est difficile en marine, et que le meilleur système y est, par la force des choses, imparfait. Nous ajouterons que le pire système, appliqué dans un pays dont la marine est la vie, a des chances d’y réussir, pourvu qu’il marche ; ce qui ne veut pas dire que nous acceptions un tel système pour ce pays-ci.

À l’occasion de la comptabilité-matières, un officier-général, dont l’opinion fait toujours autorité, nous écrivait récemment un mot trop spirituel pour que nous ne le répétions pas au risque d’être indiscret : « Sanctorius, disait l’amiral, passant sa vie dans sa balance, uniquement occupé à se peser lui-même, était incapable de se mouvoir et de mouvoir quoi que ce fût. » Assurément il ne faudrait pour rien au monde que la marine se modelât sur l’inventeur de la médecine statique ; mais il ne faudrait pas non plus, et pas un de nos officiers ne le voudrait, que, revenant à des temps qui sont bien loin de nous, la marine ne se crût en mesure d’agir qu’à la condition de ne pas compter.

Il faut le dire tout haut, la marine, plus qu’aucun des autres services de l’état, a besoin de compter avec les défiances publiques, défiances qui sont d’autant plus vives, qu’elles ne peuvent s’appuyer sur aucun fondement

  1. En 1847.
  2. Traduction insérée aux Annales maritimes, t. 90 (1845), p. 100.