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cherche à me rendre compte du nombre de ces gens assez hardis pour s’aventurer ainsi seuls sur les terrains de chasse des Comanches, et à une si grande distance. J’estime les gens braves, et je serais fâché qu’il arrivât malheur à ceux-là. Jusqu’à présent du moins, ils ont voyagé sans accident, et, à la première pluie, leurs traces plus distinctes m’en apprendront davantage.

— Les croyez-vous donc bien exposés ? demandai-je à Tranquille.

— C’est selon. Si c’était moi, je ne m’en inquiéterais pas ; mais, pour ceux-là, je ne suis pas sans appréhension. Nous sommes ici sur un terrain où il n’est pas rare que les maraudeurs blancs s’associent aux maraudeurs indiens, et, parmi les pirates des prairies, les premiers sont peut-être plus à redouter que les seconds.

Cette réponse du chasseur n’était pas rassurante, et je dus faire effort sur moi-même pour me persuader que ces chariots mystérieux n’étaient pas ceux de Township. Bientôt cependant la caravane nous rejoignit, le campement fut installé, et les fatigues de la journée l’emportèrent sur mes inquiétudes et sur mes rêves de toute nature : je ne me réveillai le lendemain qu’aux premiers sons du cor. Une pluie fine et pénétrante commençait à couvrir les prairies d’un voile épais ; le soleil, en se levant, ne put la dissiper ; pendant toute une journée de marche sur un terrain détrempé, le ciel, bas et sombre, sembla peser sur les prairies, dont l’horizon se confondait avec les nuages. Des corbeaux croassaient tristement en fendant ce rideau de vapeurs pluvieuses qui se déchirait parfois pour laisser voir dans le lointain un bison secouant sa crinière mouillée, ou un cerf qui se perdait aussitôt dans la brume.

— Tenez, disait le Canadien enveloppé jusqu’aux yeux dans un surtout de cuir fauve, c’est ainsi que le daim blanc des prairies, dont je vous ai raconté l’histoire, se montrait toujours à notre caravane jusqu’au moment où Joë le Kentuckien le tua d’une balle marquée d’une croix. Seulement, comme je vous l’ai dit, après l’avoir vu tomber, il ne trouva à la place du daim qu’une pierre blanche tachée de sang, et cependant Joë avait des yeux de lynx, et il avait vu le daim blanc rester à l’endroit où sa balle l’avait abattu : c’est une mystérieuse histoire qu’il ne put jamais éclaircir.

Au grand regret de mon compagnon, j’interrompis le chasseur pour lui demander s’il pourrait reconnaître plus distinctement la trace des voyageurs qui nous précédaient.

— Sans doute, dit-il ; mais, comme la pluie qui nous fouette au visage en ce moment a dû les surprendre assez loin d’ici, je ne pourrai vous dire cela qu’au troisième jour de marche à dater d’aujourd’hui, car je suppose, d’après leurs empreintes, qu’ils ont trois journées d’avance