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que doivent être concentrés tous nos moyens de résistance. S’il en était ainsi, l’ennemi, maître du détroit, expédierait à son gré et concentrerait, pour nous réduire, les forces supérieures dont il dispose. Sûr de n’être pas inquiété ailleurs, il nous anéantirait ou nous contraindrait à l’immobilité. C’est en opérant à Brest, à Cherbourg, que nous pourrons agir à Toulon. À Brest, la France a devant elle tout ce qui est vulnérable dans l’Atlantique et au-delà. De Cherbourg, elle regarde l’Angleterre. Dès-lors l’ennemi est obligé de couvrir tout ce qui peut être attaqué, ou si, confiant dans l’étendue de ses forces, il veut nous bloquer, alors il faut qu’il enserre dans sa ligne de blocus, non-seulement nos six cent douze lieues de côtes continentales, mais l’Espagne tout entière, mais les deux cent cinquante lieues du littoral algérien et les points de vigie dans la Méditerranée. D’ailleurs, en présence de bâtimens à vapeur, le blocus serait très difficile à tenir, et il est permis de douter que l’Angleterre ne pense pas d’abord à protéger son territoire et à sauvegarder ses colonies. Rappelons-nous l’émotion produite de l’autre côté de la Manche par la flottille de Boulogne.

Maintenant, comment les forces seront-elles disposées ? Ce serait ici le cas de discuter les systèmes de guerre d’escadre et de guerre de course ; nous ne le ferons point. La loi de 1846 a tranché la question en conservant les vaisseaux comme noyau de la force navale, et en plaçant à côté des vaisseaux un grand nombre de frégates et de bâtimens à vapeur. D’ailleurs, chacun des deux systèmes a été éprouvé par des succès et des revers. Jean Bart, Duguay-Trouin, Cassart, ont montré ce que peuvent faire de hardis corsaires. Duperré sous l’empire, et les Américains en 1814, ont fait avec bonheur la guerre de frégates ; mais Raynal a démontré combien une telle ressource est débile. On ne saurait lire avec trop d’attention les pages consacrées à ce grave sujet par M. de Lapeyrouse-Bonfils dans son Histoire de la Marine[1]. Cet officier, qui porte dignement un nom illustre, a établi avec autorité que la guerre de course n’est possible qu’appuyée par des escadres.

Nous ne discuterons pas non plus la valeur relative à donner aux bâtimens à voiles et aux vapeurs comme instrumens militaires. Chacun a ses propriétés, et vaut par elles. C’est à en tirer parti qu’il faut s’appliquer. Ce qui paraît certain, c’est que l’un et l’autre sont désormais des élémens essentiels de toute flotte de guerre. Le vaisseau mixte, qui conserve sa force comme machine de combat et qui est doué de la faculté de se mouvoir comme le vapeur sans en avoir complètement la vitesse, offre peut-être à l’heure actuelle la combinaison la plus heureuse des deux élémens. Le vaisseau-vapeur ferait-il encore un pas utile ? L’avenir en décidera. Toutes ces questions sont à l’étude. C’est pourquoi la loi de

  1. Tome Ier, page 451 et suivantes.