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de cette mer. À Corfou, elle commande l’Adriatique. Obligée de quitter l’Égypte après en avoir elle-même rejeté les Français, elle n’a jamais perdu de vue cette conquête réservée à son avenir. Aden, occupée à l’entrée de la mer Rouge, la rend déjà maîtresse de l’une des issues du long défilé dont l’ouverture de l’isthme lui livrerait la seconde clé. L’obstacle opposé à la réalisation de ces desseins a disparu avec Méhémet-Ali et Ibrahim. Le fils a précédé dans la tombe son père, affligé lui-même d’un mal plus cruel que la mort. La Porte Ottomane, aujourd’hui rentrée dans la plénitude de sa suzeraineté, n’aura qu’un instrument docile dans le petit-fils du vieux pacha. Et qui voudrait affirmer que le sultan, cédant aux inspirations de l’Angleterre, ne donnera pas quelque jour les mains à l’occupation de l’Égypte par sa fidèle alliée, dont elle attendrait en échange un ferme appui contre les envahissemens de la Russie, appui d’autant plus sûr, qu’il serait intéressé ? Pour nous qui avons vu les lieux, qui avons pratiqué les hommes et les choses, cette solution est clairement écrite derrière les nuages qui couvrent l’avenir. Pour nous, tout ce qui se prépare ou s’accomplit dans la Méditerranée a trait directement à cet avenir. Lorsqu’une escadre anglaise s’approche de la Sicile, nous nous souvenons de la reine Caroline et de Nelson. La constitution de 1812 signifie à nos yeux le protectorat de l’Angleterre.

Et quand l’histoire enseigne que, pour la possession de Malte, le cabinet anglais a rompu la paix d’Amiens et précipité l’Europe dans une guerre de dix ans, comment pourrions-nous croire que la possession de l’Algérie par la France soit un fait définitivement accepté par sa fière rivale ? Ce n’est plus d’un rocher qu’il s’agit aujourd’hui ; c’est d’un littoral de deux cent trente lieues, d’un territoire fécond, le grenier de Rome pendant des siècles. Dès qu’une flotte française pourrait s’appuyer à la fois sur Toulon et sur Alger, la route de l’Inde ne serait plus libre. Eh bien ! ne fermons pas les yeux à l’évidence : notre présence en Afrique est impatiemment supportée. Une politique aussi habile qu’énergique voit dans cette conquête l’instrument de la ruine de nos finances ; elle nous laisse à dessein nous épuiser en sacrifices, espérant bien, le jour de la moisson venu, que la moisson ne sera pas pour celui qui a semé.

Si, perdant de vue le péril, sourds aux leçons de l’expérience, nous n’étions pas en mesure de surveiller et de prévenir, nous apprendrions quelque jour que Mahon, enlevé de gré ou de force à l’Espagne, aurait mis aux mains anglaises la clé du bassin occidental de la Méditerranée et fermé à nos escadres la route de l’Algérie. Ce jour-là, Toulon verrait ses quais baignés par une mer anglaise.

Mais, nous l’avons dit et nous le croyons fermement, il n’est personne en France qui veuille préparer un tel avenir. Tous les partis politiques ont une part à réclamer dans l’œuvre accomplie au nord de l’Afrique. La