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depuis long-temps déposés par elle en Égypte, ne fussent pas étouffés. L’Angleterre voulait l’intégrité de l’empire ottoman, c’est-à-dire l’affaiblissement de la France en Égypte, la clôture des détroits contre la Russie. Le gouvernement russe pesait aussi du poids de son épée pour le maintien de l’empire turc. S’il faisait faire ainsi un progrès à l’Angleterre du côté de l’Égypte, il en obtenait un lui-même du côté de Constantinople. Du reste, protecteur de la Turquie, il n’en était pas moins redoutable pour elle. Il franchissait les Dardanelles, et montrait une fois de plus dans la Méditerranée sa flotte de la mer Noire. Qui croira que le traité de 1841 ait sérieusement dénoué ce réseau de complications ?

La guerre du Maroc, si énergiquement conduite à Tanger et à Mogador comme à Isly, si habilement terminée en 1844, n’est qu’un épisode de la question algérienne.

Nous voici venus à 1848. La guerre de l’indépendance italienne met le feu à la mine des révolutions. La république est proclamée en France. La Prusse et l’Autriche deviennent des états constitutionnels. L’Allemagne vise à l’unité. Cependant la Sicile se sépare de l’état napolitain. Deux escadres, l’une française, l’autre anglaise, sont intervenues ; elles ont eu mission de concilier le différend. C’est la politique de la France, même républicaine ; ce ne peut être celle de l’Angleterre. La médiation a échoué et les armes en décideront. Dans le même temps, Rome a rejeté de son sein le chef vénéré de l’Église : elle s’est érigée en république. Le monde catholique s’émeut d’une révolution qui enlève à la papauté son indépendance, au catholicisme sa ville sainte. Le moment n’est pas loin peut-être où plusieurs marines coalisées conduiront à Rome une nouvelle croisade.

Ce qui ressort de l’esquisse que nous venons de tracer à grands traits, c’est que question d’Espagne, question d’Alger, question d’Orient, question de Sicile et d’Italie, ne sont que les phases multiples d’une seule et grande affaire : la prééminence politique dans la Méditerranée. Trois états se la disputent : la France, pour garder son indépendance et maintenir une influence séculaire ; l’Angleterre et la Russie, pour consolider et développer les bases de leur puissance. La Russie a besoin d’atteindre Constantinople, but indiqué par Pierre-le-Grand. Arrivée là, elle enceindrait l’Europe, et par son immense frontière de terre et par ses escadres de la Baltique et de la mer Noire. L’Angleterre a besoin d’occuper la route de l’Inde. L’isthme de Suez ouvert à ses flottes mettrait en communication constante les deux parties de l’empire britannique, entre lesquelles le continent africain s’interpose aujourd’hui comme un retard. L’Égypte, dans ses mains, deviendrait l’entrepôt du monde. Aussi que d’efforts, que de luttes, que d’habiles manœuvres pour jalonner cette route et s’en assurer l’usage privilégié ! Gibraltar lui donne la clé de la Méditerranée ; de Malte, elle surveille les deux grands bassins