Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/38

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vieux vétérans des prairies qui, leur inséparable rifle entre les jambes, contaient leurs histoires de chasse ou de guerre. À mesure que la nuit avançait, les feux mouraient, les voix devenaient plus rares, et bientôt il n’y avait plus d’éveillées dans tout le camp que les sentinelles qui allaient et venaient, l’arme au bras, l’œil aux aguets et l’oreille ouverte à toutes les confuses rumeurs de la solitude.

Une lueur grisâtre ne faisait encore qu’éclairer à peine le camp endormi, quand les fanfares du clairon sonnaient le réveil. Les patrouilles rentraient de leurs excursions nocturnes, un mouvement soudain se faisait sous les tentes et les toiles humides de rosée ; les entraves tombaient des jambes des chevaux, dont l’haleine se condensait en épaisses vapeurs sous la fraîcheur matinale. Les tisons à demi consumés se rallumaient de tous côtés dans l’herbe humide ; puis, les tentes repliées, les chariots rechargés et le repas pris à la hâte, le cor sonnait le bouteselle ; c’était un cliquetis général de fer et d’armes qui heurtaient les arçons, de selles qui criaient sous le poids des cavaliers, et l’immense colonne reprenait sa marche tortueuse à travers les prairies. Au milieu des hautes herbes, des buissons entrelacés, la caravane formait une ligne capricieusement ondulée, serpentant sur les hauteurs, à travers les fourrés ou les clairières. De la tête aux extrémités de cette ligne cent fois brisée, le clairon envoyait parfois, comme un signal de ralliement, ses notes sonores, que répétaient les échos. Alors les traînards se hâtaient en jetant un regard de regret sur les daims que le son du cor venait réveiller au fond de leurs pâturages, et qui bondissaient effrayés hors de la portée des plus longues carabines.

De longs jours se succédèrent ainsi, pendant lesquels, au milieu de tous les retards, de tous les accidens inséparables d’un voyage sans routes tracées, la caravane parcourait tour à tour des plaines arides, sans autre verdure que les herbes desséchées par un soleil ardent, ou des savanes dont la végétation vigoureuse était alimentée par de nombreux ruisseaux. Tantôt une rivière encaissée dans des berges profondes arrêtait la marche des chariots, tantôt c’était le lit desséché d’un torrent qu’il fallait péniblement franchir à travers des sables mouvans, où les bêtes de somme s’enfonçaient jusqu’au poitrail, les wagons jusqu’aux essieux. Des journées entières s’écoulaient sans que nous vissions un seul arbre, un seul buisson ; d’autres fois on marchait, depuis le lever jusqu’au coucher du soleil, à travers des forêts ombreuses dont les sombres labyrinthes étaient obstrués de vignes vierges. Notre route côtoyait souvent des lacs dont les eaux dormantes étaient à demi cachées sous un manteau de nénuphars. Les traces de l’homme se montraient partout dans ces bois à côté de celles des animaux sauvages. Les sentiers, péniblement ouverts par les chariots des caravanes dans ces taillis épais, se croisaient avec ceux que se frayaient les daims et les