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domestique aussi intelligent que fidèle. Il ne nous restait qu’à partir. Malheureusement le gros de la caravane était beaucoup moins avancé que nous dans ses préparatifs, et huit jours se passèrent avant que le signal du départ fût donné. Je les employai en recherches inutiles pour découvrir le squatter et sa famille ; nul ne les connaissait, nul n’avait entendu parler d’eux. Tout ce que je pus apprendre, c’est que deux ou trois wagons étaient partis en éclaireurs dans la direction du sud-ouest, c’est-à-dire vers Santa-Fé, et qu’ils devaient avoir trois jours d’avance sur nous. Le hardi squatter avait-il accepté pour lui et pour ses enfans une mission qui ne convenait que trop à son caractère intrépide ? Je tremblais que cette conjecture ne fût fondée, et je me promis de ne rien négliger pour compléter les renseignemens que j’avais recueillis.

Enfin le jour si impatiemment attendu se leva : une longue file de wagons se déploya lentement au milieu de la confusion inévitable des premières manœuvres. Des bœufs qui n’avaient jamais connu le joug mugissaient en renversant les chariots qu’ils traînaient ; des cavaliers s’arrêtaient à chaque instant pour mettre pied à terre et rajuster leur équipement. Les piétons seuls, la hache et la carabine sur l’épaule, marchaient de ce pas élastique et ferme dont rien ne devait les faire dévier pendant des mois entiers. Des signaux d’appel, des cris, des jurons, retentissaient dans toutes les langues depuis la tête de l’immense colonne jusqu’à l’arrière-garde. Par momens, les fanfares éclatantes des riflemen à cheval de l’escorte couvraient tout ce tumulte, et nos chevaux, excités par le bruit des clairons, hennissaient en frappant du pied la terre. Peu à peu nous perdîmes de vue les clochers de Saint-Louis, et quand le soleil se coucha devant nous, nous ne voyions déjà plus, aux quatre coins de l’horizon, que les immenses ondulations des prairies.

Je n’oublierai jamais le tableau pittoresque qu’offrait notre premier campement lorsqu’à la tombée de la nuit la caravane eut fait halte. La lueur des feux allumés dans l’enceinte formée par les chariots éclairait un pêle-mêle d’hommes et de chevaux, de costumes bizarres, d’armes en faisceaux, de longues guirlandes de poires à poudre et de gibecières suspendues aux buissons. Des colonnes de fumée s’élevaient de toutes parts des brasiers qui pétillaient, et dont la flamme faisait siffler les viandes embrochées. Parmi les tentes de toutes couleurs, sous les toiles des wagons, des silhouettes étranges paraissaient et disparaissaient tour à tour aux reflets des foyers ou dans l’ombre épaisse des abris dressés pour la nuit. Des groupes de chasseurs, les uns assis ou couchés, d’autres debout, tous vivement éclairés par les lueurs rougeâtres, attiraient ensuite mon attention. Des refrains joyeux, des chansons françaises ou canadiennes, résonnaient çà et là, mêlés à la psalmodie lugubre de quelque chanteur méthodiste qui s’élevait tristement dans le silence de la halte. Plus loin, des cercles d’auditeurs attentifs entouraient de