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de ces sauveurs de la patrie et du genre humain, qui abondent chez nous, c’est de prendre toujours l’une de ces deux mesures pour l’autre. De là cette tension perpétuelle qui finit par leur rompre le jugement et les marquer de quelque trait où l’on pressent la folie ; de là cet effort infructueux, cette aspiration essoufflée vers le sublime ; de là ce pastiche incessant de toutes les grandes histoires avec lequel ils s’en font eux-mêmes une si petite.

Sérieusement, n’est-ce pas étrange de voir ces écoliers plagiaires régner sur de certaines foules et nous pousser dans un nouveau Bas-Empire où les rhéteurs pourront être des tribuns ? Ce langage convenu, cette imitation fastidieuse, ce faux continuel est en effet à l’ordre du jour dans tout le parti ; écoutez un correspondant de la Vraie République vous raconter la ruine d’un condamné de juin, un marchand de bois de la rue Ménilmontant ; les voisins remplissent son chantier désert : « Malheureux Derteract ! s’écriait une femme du peuple, quelle récompense est la tienne ! Toi si dévoué, si grand d’ame, toi l’exemple vivant du travailleur-peuple ! — Un vieillard était là également qui pleurait ; il laissa échapper lentement ces paroles : Mon Dieu ! qu’elle est à plaindre, la justice qui s’égare à ce point d’infliger un châtiment au citoyen qui a mérité la couronne civique ! » Ce sont bien là les vieillards et les femmes des sombres rôles de l’Ambigu et de la Gaieté ; ce sont des figures de cire qui ne respirent ni ne marchent tout de bon : c’est le faux à froid. Lisez les envois d’argent des souscripteurs qui paient les amendes du Peuple et jettent à l’envi leur obole « dans la gueule du fisc ! » le faux, toujours le faux ! Lisez les feuilletons dans lesquels on représente Maximilien Robespierre montrant ses images à sa sœur quand il était petit, nourrissant avec amour des pigeons ou des moineaux, et pleurant la mort « de ses pensionnaires emplumés. » Faux style, faux esprit ! la guillotine mignarde ! tout cela faux comme la fantasmagorie financière de M. Proudhon, qui vient, à ce qu’il paraît, de mettre la clé de sa banque sous la porte pour prendre celle des champs.

Comment toutes ces faussetés peuvent-elles cependant exercer tant d’empire sur la multitude ? C’est qu’elles vont à l’adresse des appétits matériels qui assiègent aujourd’hui l’ordre social ; elles les déguisent et les parent ; elles semblent couvrir ou relever le but grossier qu’ils se proposent. Ces appétits demeurent au fond de l’homme avec leurs exigences et leur tyrannie ; la société est faite pour les contenir : lorsque la société branle sur sa base ou se dissout, ils reparaissent à la surface et réclament leur part de butin. Nous en sommes là, sauf réserve, et les vendeurs d’éloquence ne chômeront pas de clientèle tant que la société ne sera pas rassise et raffermie. Resserrons donc au plus vite les liens des institutions, défendons tous les ressorts de l’organisation publique contre des attaques inconsidérées ou perfides. Un pouvoir fort sera toujours le plus sûr rempart contre les doctrines anti-socialistes, parce qu’il leur opposera, pour ainsi dire, une objection de fait. Les propagandistes nieront qu’il puisse résister il résistera.

L’assemblée national n’est pas assez généralement pénétrée de cette persuasion ; née dans l’accès révolutionnaire, elle ne sent pas aussi bien que le pays, maintenant refroidi, cet absolu besoin d’une force publique. Elle se figure trop qu’elle est encore elle-même cette force si désirable, et elle ne s’aperçoit pas assez que la lente approche de sa fin musé son crédit, que les violences de ses dé-