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subit leur domination jusqu’à ce qu’il se rencontre encore un parti assez désespéré pour se soulever sans calculer les chances de la révolte.

Cette situation amène donc deux résultats : elle décourage, paralyse, désarme les classes conservatrices et les hommes de bien ; elle excite, au contraire, l’ambition des factieux, entretient leurs espérances, provoque leurs attentats. Elle en a encore un troisième : elle dégrade, corrompt et énerve le pouvoir. La fin du pouvoir et de toutes les institutions politiques, c’est le bon gouvernement. Les peuples les plus égarés ne demandent pourtant, à travers les convulsions qui les déchirent, qu’à être bien gouvernés, c’est-à-dire à être conduits avec prévoyance, avec intelligence, avec suite, à la satisfaction de leurs intérêts. Mais lorsque le pouvoir n’est plus qu’une position que l’on attaque ou que l’on défend, que l’on envahit ou que l’on perd violemment, le pouvoir cesse d’être une région assez sereine et assez haute pour qu’on y puisse embrasser les intérêts de la société tout entière et leur imprimer avec sûreté et persévérance une direction vivifiante. Les grandes vues y planquent de lumière, les vastes desseins y manquent d’espace, et le gouvernement, à la merci de la passion du moment, s’use stérilement entre la routine et l’utopie.


VI

Telle est la France qu’il faut refaire. Mettre le doigt sur ses maux, c’est indiquer à quelle source on trouvera la guérison, et montrer l’imminence du péril, c’est prouver qu’il faut appliquer le remède avec un parti pris immuable et une vigoureuse promptitude.

Ainsi, au point de vue politique, il est démontré que la centralisation bureaucratique est pour les partis un stimulant de révolution, pour l’initiative du pouvoir une cause de faiblesse et d’inertie, pour la société une forteresse formidable d’où ses ennemis peuvent l’accabler sans combat. Il est donc prouvé qu’il faut, par des institutions décentralisatrices, établir entre la société et le pouvoir une série de retranchemens et de fortifications derrière lesquels la société pourrait encore se défendre, même si le pouvoir tombait, par accident, aux mains de ses ennemis. Il est prouvé que, pour donner au pays des mœurs publiques régulières et fortes, il faut, par les libertés locales et municipales, engager son initiative et sa responsabilité dans tous les degrés de l’administration. Il est prouvé que, jusqu’à ce que ce but soit atteint, il faut attaquer la centralisation systématiquement, sans relâche, par tous les moyens. Ne craignons pas les excès d’une pareille guerre ; à ceux qui les redouteraient nous pourrions répéter, nous aussi, le mot d’un violent révolutionnaire : « Vous n’y entendez rien. Eh ! mon Dieu ! laissez-nous dire, on n’en rabattra que trop ! »