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et l’idée de ceux qui, entraînés par cette lecture, avaient quitté ma paisible vallée, n’en revint que plus vivement obséder mon esprit.

Quelques jours se passèrent, après lesquels la solitude commença à me peser comme un intolérable fardeau. Je me souvins alors que le voisin de Township m’avait invité à venir le voir, et qu’il m’avait offert, si quelque motif nécessitait jamais mon absence, de protéger le Red-Maple contre un nouvel envahisseur. La ferme de cet homme était à quelques heures de la mienne. Je me mis en route pour l’aller trouver ; mais, en quittant la Vallée des Érables pour cette excursion d’un jour ou deux seulement, je ne pus m’empêcher de me retourner tristement vers mon habitation solitaire, comme si je lui disais un éternel adieu.


IV

En me rendant à la ferme de l’ami de Township, je sentis la vague tristesse qui s’était emparée de moi depuis quelques jours se dissiper peu à peu, et je me surpris à envier le sort de la famille errante que j’avais vue s’élancer si courageusement, sous les ordres du squatter, à travers les hasards et les dangers d’un long voyage. — Pourquoi, me disais-je, avant de venir me fixer dans cette vallée solitaire, pourquoi ne goûterais-je pas aussi les âpres jouissances de la vie nomade ? À peine arrivé dans un monde qui offre des chances si variées à l’activité humaine, n’ai-je donc plus à concentrer mes efforts que sur le défrichement de quelques terres incultes ? Le moment est-il si tôt venu de limiter mes espérances et de borner mon horizon ? — Le désir de revoir la famille du squatter entrait bien pour quelque chose dans le besoin d’activité aventureuse qui s’emparait de moi ; mais les projets que je formais chemin faisant avaient aussi leur côté sérieux, et les bonnes raisons ne me manquaient pas pour me prouver la nécessité d’un voyage en Californie.

Le séjour que je fis chez l’ami de Township contribua encore à m’affermir dans ces dispositions. Le fermier me conseilla de me soustraire par tous les moyens à ce malaise moral que l’oisiveté dans la solitude ne manque jamais de provoquer. J’avais le choix entre deux partis : ou m’entourer de quelques travailleurs pour commencer sans retard le défrichement du Red-Maple, ou partir pour la Californie, d’où je reviendrais cultiver mon domaine avec la richesse et l’expérience de plus. Dans tous les cas, en quittant mon voisin, j’avais à prendre la route de Guyandot. C’était là seulement que je pouvais me procurer les bras et les instrumens nécessaires à l’exploitation de la Vallée des Érables ; c’était là aussi que je comptais m’informer des moyens de