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de la seconde de ces catégories, dépendent de la première. Ce sont les propriétaires du capital qui alimentent la production, qui impriment l’impulsion au travail, qui attachent au succès de leurs entreprises les destinées matérielles de la société. Leur situation particulière, les caractères économiques, les nécessités sociales qui leur sont propres ont donc une influence décisive sur le sort du pays. Or, la constitution sociale de la France ne permet pas à cette classe de donner à la vie matérielle de notre nation l’élan, l’activité, la grandeur que les classes riches d’Angleterre communiquent à la société britannique. Il faut appliquer à l’agriculture et à l’industrie de grands capitaux pour féconder les ressources matérielles d’un pays. Il faut avoir la hardiesse qu’inspirent les fortunes immenses pour réaliser les vastes spéculations. Il faut que l’émulation des individus et des classes exalte toujours davantage l’ambition de chacun, pour que l’esprit d’entreprise s’allume et grandisse chez un peuple. Notre constitution sociale refuse ces conditions aux hommes entre lesquels la richesse est répartie. Au lieu de favoriser la formation et l’accumulation des grands capitaux, notre loi des successions travaille sans cesse à les diviser. Les fortunes, ramenées à la médiocrité par un nivellement impitoyable, demeurent timides et craignent de tenter les grandes aventures du commerce et de l’industrie. C’est la région où réside la puissance politique qui détermine le niveau d’une société ; la démocratie place cette puissance en bas, au lieu de la mettre en haut. En France donc, au lieu de monter par l’émulation à la hauteur d’un idéal élevé, les individus et les classes descendent par l’envie à l’étiage d’une égalité vulgaire, et l’esprit d’entreprise a perdu son plus puissant aiguillon. Deux autres causes tendent à enlever au capital son courage et sa force d’action. La première est la périodicité de nos révolutions, qui viennent à chaque instant détourner ou arrêter le courant des affaires, qui empêchent le capital de se livrer avec suite et avec sécurité à des applications fructueuses, et qui arrièrent constamment notre industrie. La seconde est la négligence que les intérêts matériels ont toujours rencontrée parmi nous dans le gouvernement. La France n’a jamais eu, comme l’Angleterre, des hommes d’état économistes ; elle n’a jamais eu une politique commerciale fortement conçue, soigneusement pratiquée, et, même dans un pays comme l’Angleterre, les capitaux ont eu besoin de trouver au pouvoir une attention vigilante et une direction habile pour commanditer avec succès l’agriculture, l’industrie et le commerce. Ainsi, la classe qui possède la richesse, qui doit alimenter le travail national, et donner au pays sa vie matérielle, est placée en France dans des conditions de faiblesse, de langueur, de découragement, d’indécision, d’inertie. En face de cette paralysie de la première catégorie se tordent le malaise et l’impatience de la seconde.