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tonnerre qui entr’ouvrit la société française en illumina les profondeurs d’une sinistre clarté. Ayons toujours devant nos yeux ce tableau, sombre comme une plaie d’Égypte de Martin, car rien n’est changé aux réalités terribles qui nous furent alors montrées. La bouche du volcan s’est refermée un instant, voilà tout.

La veille de la révolution de février, il y avait au-dessus de la société des institutions qui fonctionnaient, des partis qui luttaient, des hommes d’état qui parlaient et agissaient.

La veille, dis-je, il y avait des hommes d’état et des partis : des légitimistes et des républicains qui ne croyaient détruire que la forme d’un gouvernement, une opposition constitutionnelle qui ne croyait renverser qu’un ministère, des conservateurs qui croyaient, en défendant le ministère, assurer la sécurité de la société et l’existence du gouvernement. Le lendemain, il fut prouvé qu’ils s’étaient tous trompés. Ce que l’Écriture dit de la mort se vérifia pour la révolution : elle vint comme un voleur les surprendre tous dans leur sommeil et dans leurs songes. A. leur réveil, ils se trouvèrent tous en face d’un ennemi inconnu, enfant de leur propre imprévoyance, et dont leurs agitations factices leur avaient dérobé le formidable accroissement.

La veille, il y avait des institutions qui semblaient couvrir la société depuis le sommet jusqu’à la base, se coller à toutes ses ondulations, se plier à tous ses mouvemens, recueillir et organiser toutes ses forces. Il y avait une royauté, une chambre des pairs, une chambre des députés ; il y avait des ministres, des préfets, une magistrature, une armée. Le lendemain, une partie de ces institutions tombaient comme si elles n’avaient jamais fait corps avec la société, comme si elles n’avaient été que posées à sa surface et non plantées dans son sein. Le lendemain, ce qui survivait de ces institutions ne résistait pas plus que le télégraphe, et devenait la proie inerte, l’instrument machinal de l’anarchie triomphante.

La veille, il y avait des classes artificielles qui se croyaient divisées par des intérêts ou des idées, qui s’isolaient les unes des autres, se verrouillaient dans leur égoïsme, se combattaient avec acharnement, et ne voulaient pas apercevoir la solidarité qui les unissait entre elles et toutes ensemble à l’existence de la société. Il y avait des propriétaires et des industriels, des négocians et des agriculteurs, des professeurs et des prêtres, des hommes d’indépendance et des fonctionnaires, des protectionistes et des libres échangistes, des universitaires et des catholiques. Le lendemain montra le néant de ces distinctions, la folie et le crime de ces rivalités. Le lendemain, on vit qu’il n’y a que deux classes dans la société française : ceux qui veulent le maintien de la société, ceux qui veulent en changer les conditions morales et matérielles.

Il n’y a pas un autre exemple dans l’histoire d’un revirement aussi