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mon terrible ennemi Township était plongé dans la lecture des journaux qui contenaient ces merveilleux récits. J’écoutai tout cela d’une oreille fort distraite, et le jeune Américain, voyant que je gardais le silence, jugea à propos d’étaler sous mes yeux les provisions qu’il apportait ; quelques galettes de maïs, un énorme morceau de bœuf salé et une cruche de bière composaient un substantiel repas, auquel je fis honneur par orgueil plutôt que par besoin.

— Vous avez été étonné, reprit le jeune squatter, de l’avis que je vous ai donné tantôt : vous auriez préféré dormir à la ferme ; mais deux hommes dont l’un doit tuer l’autre au soleil levant ne peuvent guère passer la nuit sous le même toit. Le père est d’un caractère à ne pas oublier l’injure que vous lui avez faite, et ce soir, après avoir bu quelques verres de brandy… S’il doit vous tuer, mieux vaut pour lui que ce soit demain, sous la voûte des arbres, que dans sa propre maison ; n’êtes-vous pas de cet avis ?

Je trouvais, je l’avoue, ces deux alternatives fort tristes, et je ne répondis que par une inclination de tête.

— La nuit est tiède, continua le squatter, et à trois heures du matin il fera jour. Quelques heures seront bientôt passées. Si pourtant, outre ce lit de mousse, vous désirez du feu, je puis vous allumer un bon brasier. Quant à moi, je ne dormirai pas de la nuit, mais je vous engage à vous reposer quelques instans.

— Vous allez donc passer la nuit ici ? lui demandai-je.

— Sans doute ; je réponds de vous devant Dieu et devant mon père.

Je m’aperçus que j’avais dans ce singulier compagnon à la fois un protecteur et un gardien. Pour couper court à une causerie importune, je feignis de dormir ; mais le sommeil était bien loin de mes yeux. Cependant il y a dans le calme de la nuit, dans le murmure du vent parmi les branches, quelque chose de ce charme consolateur qu’exhalent les douces paroles d’une mère qui berce les chagrins de son enfant. Le brouillard qui s’élevait du ruisseau et de l’étang commençait à se condenser en vapeurs épaisses à la cime des arbres ; tout s’endormait autour de moi. La torpeur de la nature me gagna, et je tombai peu à peu dans un demi-assoupissement. Je fus tiré de cet état par un sursaut. Il m’avait semblé entendre quelques paroles murmurées d’une voix douce, et, en ouvrant les yeux, je vis distinctement s’enfuir à travers les buissons une forme svelte et blanche. — Qu’est-ce ? demandai-je au jeune squatter. — Moins que rien, dit-il ; une fantaisie de jeune fille. C’est ma sœur qui venait me voir sous je ne sais quel prétexte. Au fond, c’est la curiosité qui l’amenait ici ; et, dois-je vous le dire ? en vous regardant à la clarté de ce falot, elle vous a trouvé bien jeune pour mourir.

Toute cette famille comptait donc bien aveuglément sur l’adresse du