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doctrine qui veut que l’idée soit non-seulement réalisée, mais représentée. De cette haine de l’abstraction naissent, dans Carlyle, les deux idées fondamentales de sa doctrine : l’idéal réalisé et le culte des héros.

Notre société abstraite, qui n’a ni symboles ni héros, Carlyle l’appelle société mécanique ; la société qui possède l’une et l’autre chose, il l’appelle société dynamique. La société où règnent la logique, les abstractions, les formules, n’exerce que les puissances négatives, mécaniques de l’ame ; celle où règnent la religion, la justice, la sainteté, l’héroïsme, exerce les puissances dynamiques. La première ne plut être régie que par des esprits sceptiques et athées et fonder des institutions sans ame ; la seconde, lentement et à travers les siècles, fait de la société un organisme vivant. Maintenant, dans laquelle de ces deux sociétés vivons-nous ? Dans une société mécanique. Quand cessera son règne ? Quand de nouveaux symboles se seront formés, quand le temps et les longues générations d’hommes auront tissé pour elle un nouveau vêtement. La société, dit humoristiquement Carlyle, est fondée sur la notion du vêtement. Lorsqu’une société n’a plus de vêtement (c’est-à-dire, de symboles, d’institutions), elle est juste aussi avancée que les sauvages et qu’Adam dans le paradis terrestre, plus la chute de l’homme : sans cette chute, cette nudité serait pleine d’innocence ; mais enfin, puisqu’elle a eu lieu, il n’en est plus de même, et les sociétés se voient alors avec terreur dans un état sans-culottique. Alors les hommes, avec de grands cris et de terribles trépignemens, demandent des vêtemens afin de cacher leur nudité. De là le socialisme, le chartisme, la révolution française. Pour nous couvrir, en effet, qu’avons-nous depuis cinquante ans ? Des vêtemens de gaze très légère, nommés abstractions dans la langue philosophique, qui se déchirent facilement et ont besoin d’être fréquemment rapiécés. Nous en savons quelque chose.

Ces vêtemens, ces symboles prennent, dans Carlyle, le nom d’idéal réalisé. Écoutons-le lui-même expliquer ce qu’il entend par là : « C’est par les symboles, dit-il, que l’imagination et sa mystique région des merveilles passent dans le petit et prosaïque domaine des sens, s’y enféodent, s’y incorporent. Dans ce que nous appelons symbole, il y a toujours plus ou moins, distinctement et directement, quelque réalisation, quelque révélation de l’infini. L’infini s’unit au fini, devient visible et peut, pour ainsi dire, être atteint. L’homme est guidé et gouverné par des symboles ; ce sont ces symboles qui le rendent heureux ou malheureux. Qu’il les reconnaisse ou non, il les rencontre partout sur sa route, ils sont partout autour de lui. L’univers et l’homme lui-même ne sont que les symboles de Dieu. Tout ce que fait l’homme est symbolique, tous ses actes sont une révélation sensible de la force mystique qui est en lui… Est-ce que la nation hongroise ne se souleva pas comme un tumultueux océan, lorsque l’empereur Joseph mit dans sa poche sa