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Nullement de la métaphysique, mais bien des pronostics et des horoscopes. Les doctrines allemandes sont une recherche des lois éternelles que le monde a maintenant oubliées, nullement une explication. Elles vont à la découverte de la future unité du monde ; elles ne savent nullement quelle est cette unité. Elles ont cherché à orienter notre siècle, — aussi les questions de méthodes sont-elles prédominantes chez Kant par exemple ; — elles indiquent les différentes routes, elles ne précisent pas la vraie. Ce sont, dis-je, des horoscopes, des pronostics, des signes. Ce qu’il faut considérer en elles, c’est leur esprit. Ce sont des philosophies de transition, pas davantage, mais c’est tout ce que notre temps peut avoir. Beaucoup de gens rejettent avec dédain les doctrines allemandes, parce qu’ils n’y ont trouvé qu’un échafaudage d’abstractions et une suite de formules ne reposant sur aucune donnée scientifique et réelle ; ils ont lu ces doctrines, mais ils n’ont pas su en évoquer l’esprit. Le moi égale moi de Fichte, la loi des antinomies de Kant, la méthode d’association des contraires de Hegel, ne sont en effet que des abstractions et des formules, ne reposant pas sur des données réelles, évidentes, scientifiques, comme les formules de Descartes et de Leibnitz, et elles ne peuvent pas reposer sur de telles données. Ces formules ne sont que des abstractions sans réalité, mais inventées pour appeler les réalités et les faire descendre parmi nous. Voilà ce que ne comprennent pas les contempteurs des doctrines allemandes, qui ne sont que des instrumens pour ainsi dire inventés pour ressaisir la vérité perdue. Ces doctrines ne portent pas leur fin en elles-mêmes, mais elles sont des moyens pour une fin plus excellente qu’elles.

Si nous insistons sur ce caractère particulier des doctrines allemandes, c’est que les théories de Carlyle ont la même signification. Sa philosophie est aussi une philosophie faite pour notre temps. Carlyle a essayé de faire comprendre à ses contemporains ce que signifient ces convulsions et ces révolutions qui font de notre siècle une énigme indéchiffrable. Pourquoi l’Europe a-t-elle brisé son vieux moule ? Par quelles phases les sociétés passeront-elles avant d’en avoir formé un nouveau ? Combien de temps les débris et les ruines joncheront-ils le sol et meurtriront-ils les pieds des nouvelles générations ? Jusqu’à quel temps les hommes seront-ils privés de foi religieuse et vivront-ils au jour le jour ? Toutes ces questions, il les a agitées, résolues d’une manière sinon toujours satisfaisante, au moins par des raisons élevées et dans des aperçus pénétrans, singuliers, émouvans. J’appellerais volontiers Thomas Carlyle le véritable penseur du XIXe siècle ; il ne s’inquiète que de notre temps, il ne remonte pas avant 89 dans les recherches historiques, et son point de départ philosophique est Kant. Aristote et Platon sont pour lui des noms vénérés, mais qui ne contiennent pas la pensée qu’il cherche ; la révolution française est pour lui le fait principal,