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Si vous aviez la moindre foi religieuse, le drapeau du chartisme avec ses cinq points absurdes ne se promènerait pas à travers les rues de Londres ; vous n’auriez point les associations secrètes de l’Irlande et le tribunal populaire de Glascow, rendant mystérieusement ses arrêts, ni les insurrections de Manchester, ni le cri du rappel, ni les piques d’O’Brien prêtes à défendre la politique de la force physique. Que savez-vous faire ? Filer du coton et construire des railroads. Mais ce chaos vivant de l’ignorance et de la faim qui est là roulant sous vos pieds, vous inquiétez-vous de le rendre un peu moins confus, un peu plus humain ? Pendant qu’il hurle, grogne, prépare ses torches et ses piques, que faites-vous ? Des maiden speeches ; et puis encore ? Vous conservez vos droits de chasse. » Tout cela est vrai, trop vrai, et le discours qu’il tient à l’Angleterre, il pourrait le tenir tout aussi bien à l’Europe entière. Pourtant, lorsqu’on lui demande à son tour ce qu’il y a à faire et qu’il répond, comme dans ses commentaires des lettres de Cromwell : revenir au puritanisme, nous ne pouvons voir dans cette recommandation que le caprice d’un esprit éminent qui s’est enthousiasmé pour les dernières études qu’il a faites. Il y a plus d’un esprit distingué de notre temps, d’ailleurs, qui suit, a suivi ou suivra la même méthode et prêchera aujourd’hui pour le moyen-âge et demain pour la révolution. Nous aimons mieux Carlyle, lorsqu’il reste dans la croyance à l’idée religieuse pure et simple que lorsqu’il se lance dans l’esprit d’une secte. Je l’aime mieux, parce qu’alors il est plus de son temps, hélas ! en n’ayant aucune doctrine déterminée, mais simplement un profond sentiment religieux et une grande sympathie.

Carlyle a beaucoup étudié la métaphysique allemande, mais d’une façon originale et non comme un vulgaire faiseur d’analyses. Il se l’est appropriée, il l’a faite sienne ; il n’est ni le disciple, à proprement parler, ni le plagiaire des Allemands. Le premier, il me semble avoir bien vu ce que signifiaient les doctrines allemandes, lorsqu’il a dit : « Ces doctrines ne sont pas les meilleures choses, mais le commencement de meilleures choses. » Il ne regarde pas cela comme définitif ; il ne se prosterne pas devant ces doctrines, il n’a pas pour elles un enthousiasme imbécile ; mais il a su en comprendre, dis-je, la signification. Ne lui demandez pas s’il est rationaliste, ou supernaturaliste, ou panthéiste, il vous rirait au nez ; car il a, comme il le dit lui-même, l’horreur la plus profonde de tous ces ismes qui riment si richement avec sophisme il n’est ni kantiste, ni fichtéen, ni hégélien, mais il embrasse toutes les écoles d’un point de vue supérieur. Il a laissé de côté l’enveloppe, le système ; les idées elle-mêmes, il les a jetées dans un immense alambic et en a tiré l’essence primitive, c’est-à-dire qu’il en a pris l’esprit, rien de plus. Si vous lui demandez ce que signifient les doctrines allemandes, voici ce qu’il vous répondra : « Nous sommes très heureux (ceci était écrit