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et moi, nous revînmes seuls au camp. Une demi-heure d’une marche rapide et pénible nous y ramena. La plus grande confusion régnait sur les bords du lac. Ce n’étaient partout qu’allées et venues tumultueuses. Des torches qui couraient en tout sens jetaient d’étranges lueurs sur les figures consternées des chercheurs d’or. Après avoir déposé non loin de la tente du squatter le corps de Térence, nous laissâmes Township rejoindre seul sa famille, dont nous crûmes devoir respecter la douleur. Un coup d’œil jeté à notre chariot nous prouva qu’aucune tentative de pillage n’avait été faite de ce côté. Une fois rassurés par cette courte inspection, nous allâmes nous mêler aux groupes qui stationnaient près du lac et les questionner sur l’alerte de la nuit. Les uns prétendaient que cette alerte avait été causée par le bruit d’une fusillade entendue dans les montagnes ; d’autres assuraient que plusieurs chercheurs d’or, absens depuis le matin, avaient été victimes d’un guet-apens tendu par les rôdeurs indiens. Pendant que nous cherchions à démêler la vérité au milieu de ces récits confus, un mouvement inusité se fit dans la foule. Deux hommes étaient ramenés par un groupe irrité et salués par les imprécations de tous les chercheurs d’or. Je reconnus l’alcade et son impudent acolyte. On les accusait de connivence avec les bandits qui venaient de tenter un coup de main sur le camp, et qu’on avait repoussés dans les montagnes.

— Eh ! messieurs, hurlait l’alcade, c’est déjà bien assez qu’un magistrat se soit mis à la solde d’un drôle qu’il a trois fois condamné à mort, sans qu’on l’accuse encore de vol à main armée. Je cherche de l’or pour le compte de celui qui me paie, et je suis innocent du reste.

— De quoi suis-je coupable ? criait à son tour le vagabond aux longs cheveux. J’ai la fantaisie de me faire servir par un alcade, c’est cher, mais c’est permis. Je cautionne ce magistrat, moi. Un homme trois fois condamné à mort n’est pas suspect, ce me semble.

Et le drôle jetait au magistrat un regard de protection. Malgré leur feinte assurance, les deux malheureux n’auraient pas échappé en ce moment à la justice sommaire des chercheurs d’or, si une troisième capture n’avait attiré l’attention générale. Tranquille revenait de son expédition, rapportant sur son cheval mexicain le vaquero lié en travers avec son propre lazo. Profitant de la distraction causée par cet incident, l’alcade et son patron gagnèrent le large avec une prestesse, une dextérité toutes mexicaines. Le chasseur, en m’apercevant, poussa son cheval vers moi. — J’amène à Township, me cria-t-il, un homme qu’il est bon de confronter avec lui. C’est une ancienne connaissance à nous, c’est l’homme de la nuit de l’Arkansas.

Le vaquero fit un soubresaut.

— Tenez, reprit Tranquille en écartant le mouchoir qui couvrait la figure du prisonnier, presque méconnaissable sous une couche épaisse de sang et de poussière.