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pas rentrés, et les sentinelles avaient vu rôder aux alentours du camp des figures suspectes, qui, au premier coup de feu, s’étaient sauvées vers les montagnes. Il était évident que les Indiens préparaient une attaque et qu’il fallait se tenir sur ses gardes. L’homme qui nous donnait ces détails nous engagea à ne pas quitter nos chariots, Township ne lui répondit pas, et je me bornai à faire un signe de tête affirmatif ; mais, dès que cet homme fut parti, le squatter me prit la main avec une exaltation convulsive qui attestait que, chez lui, l’amour paternel avait tout à coup repris le dessus. Partons, me dit-il, partons : dans quelques minutes peut-être il ne sera plus temps. — Et sans se tourner vers sa famille, le rude défricheur se précipita hors de la tente. Je le suivis après m’être muni d’une carabine prise au hasard dans l’arsenal du squatter. Je n’étais pas seulement inquiet pour Terry, mais pour Tranquille et le romancier. Nous courûmes plutôt que nous ne marchâmes jusqu’à l’entrée des montagnes vers lesquelles j’avais vu se diriger le fils de l’émigrant. Là, nous nous arrêtâmes un moment. Avant de pénétrer au milieu de la nuit dans ces défilés sauvages, il était urgent de tenir conseil.

Les ténèbres qui nous environnaient ne nous permettaient pas de distinguer les traces de Terry ni de rien conjecturer sur la direction qu’il avait dû suivre une fois dans les montagnes. Avait-il tourné ses pas vers un de ces sentiers qui conduisent à la vallée du Sacramento, ou avait-il continué sa route vers les plaines opposées ? En tout cas, il ne pouvait être bien éloigné encore, et peut-être le hasard lui avait-il fait rencontrer le chasseur et le romancier. Nous résolûmes, à tout hasard, de pousser notre cri de ralliement. Les chasseurs des prairies ont, comme nos anciens chevaliers, leurs signaux de guerre, qui les aident à se reconnaître dans les heures de péril, La plupart de ces signaux imitent un des bruits qu’on entend le plus fréquemment dans le désert. Nous avions adopté le cri de notre ami le Canadien : c’était un hurlement de loup. Trois de ces hurlemens, à égale distance et assez rapprochés l’un de l’autre, indiquaient la présence de l’un de nous. Le romancier et moi nous laissions beaucoup à désirer, je dois l’avouer, dans ces essais de musique imitative ; quant au squatter et, à Tranquille, ils hurlaient à faire envie aux loups véritables. Le squatter fit donc entendre le signal convenu, mais une minute se passa, et aucune voix ne répondit à la sienne. Un second signal fut tout aussi infructueux, et les notes plaintives moururent répétées lentement par l’écho de la sierra. Une troisième tentative fut enfin plus heureuse ; trois hurlemens lugubres répondirent à ceux de Township. Nous nous dirigeâmes rapidement du côté d’où partait la réplique si désirée. Malheureusement les défilés de la montagne formaient une sorte de dédale où il était impossible de marcher en ligne droite, et nous perdîmes beaucoup de temps à