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de la nuit. C’était parfois un air des montagnes de la Suisse que le cor d’un chasseur révélait aux échos surpris de la Sierra-Nevada ; c’étaient parfois aussi les voix harmonieuses de quelques enfans de la blonde Allemagne qui répétaient avec une émotion pénétrante, sous le ciel brûlant du Mexique, les chants mélancoliques de la Souabe ou du Tyrol.

J’étais arrivé près de la taverne où j’espérais rencontrer mes deux compagnons. Cette taverne était une tente un peu plus spacieuse que les autres, où l’eau-de-vie du pays, le pisco, se vendait à un dollar chaque goutte, où le refino, eau-de-vie raffinée de Catalogne, se payait au poids de l’or. J’aimais à y surprendre pour ainsi dire le chercheur d’or en déshabillé, racontant ses souvenirs ou ses projets d’une langue déliée par l’alcool. Quand j’entrai sous la tente, les tables de bois étaient garnies, comme d’habitude, de buveurs dont les visages m’étaient vaguement connus ; je ne vis nulle part mes deux amis, et j’allais me retirer quand un groupe de trois convives arrêta mon attention. L’un de ces buveurs portait la veste ronde à broderies de soie, le large chapeau et les culottes flottantes des Mexicains de Californie ; mais les deux autres étaient revêtus d’un costume tout-à-fait excentrique : coiffés d’un chapeau à galons d’argent, ils drapaient dans une couverture en lambeaux leur corps nu, dont la peau rouge était couturée de cicatrices. De longs cheveux incultes tombaient en mèches emmêlées sur les plus sinistres figures qu’il fût possible de voir. L’un de ces vagabonds portait souvent ses mains ornées d’ongles aigus à une ceinture gonflée d’or, qui entourait ses reins. Il appela bruyamment le tavernier.

— Que faut-il servir à leurs seigneuries, demanda celui-ci, du pisco, du refino ?

— Du pisco ! allons donc ! reprit le vagabond d’un air de dignité comique ; nous prenez-vous pour des buveurs de pisco ? C’est de l’eau-de-vie de Barcelone qu’il nous faut, c’est le seigneur alcade qui régale. Allons, demonio ! compère l’alcade, en avant les pepitas.

Cette désignation d’alcade me rappela l’aventure du romancier, et j’observai dès-lors plus attentivement les trois buveurs. Celui qu’on appelait l’alcade tira humblement d’une ceinture pareille à celle du drôle aux longs cheveux une poignée de poudre d’or que le tavernier soupesa de la main, après quoi il apporta une bouteille de la liqueur qu’on lui payait au prix du baril. Le métis allongea hors des plis de sa couverture un de ses bras bronzés, et, remplissant à ras la calebasse de son compagnon et la sienne, il omit complètement d’en verser dans celle de l’alcade.

— C’est une économie que vous faites, grace à moi, dit-il ; si vous en buviez, vous seriez tenu d’en payer une autre bouteille.

Et tandis que l’alcade souriait d’assez mauvaise grace, les deux vagabonds