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dès la première nuit passée à Red-Maple. Térence recherchait depuis quelque temps ma société d’autant plus volontiers qu’il avait à combattre, chez son père, une froideur et une sévérité poussées jusqu’à l’injustice. C’était sur lui que le squatter soulageait d’habitude son ame oppressée par le chagrin ou la colère. Térence n’opposait aux reproches de Township qu’un respectueux silence ; mais, au fond, il sentait que le lien de famille était près de se briser, et il appelait avec impatience le jour où il pourrait, lui aussi, quitter le toit paternel pour commencer la vie aventureuse et nomade du squatter. Je remarquai que, pour la première fois, Térence revenait du travail les mains vides ; je l’appelai, et le jeune homme vint s’asseoir près de moi, mais sans répondre à mes questions sur le résultat de sa journée autrement que par des exclamations et des monosyllabes qui trahissaient une impatience difficilement contenue. Térence n’avait rencontré ni le chasseur, ni le romancier. Enfin, son ame s’épancha en plaintes naïves sur les ennuis d’un travail monotone et sédentaire, tel que celui du chercheur d’or. Je m’efforçai de le consoler, bien que je partageasse intérieurement toutes les tristesses du jeune Yankee. — Vous avez beau dire, dit-il, c’est un affreux métier que nous faisons là ; il ne faut pas enlever le squatter à ses habitudes ; les longs voyages, les déserts à défricher, voilà ce qui lui convient. J’ai vingt-trois ans, et à dix-huit mon père avait déjà pris ; son essor loin de sa famille ; mais, patience, mon tour viendra. — Je reconnaissais là le caractère américain dans toute son audace, et je ne pus que répondre au jeune squatter par un signe d’approbation.

Térence, qui paraissait peu disposé à continuer la conversation, m’offrit de prendre ma place, et j’acceptai, heureux de pouvoir aller au-devant de mes compagnons, dont l’absence prolongée commençait à m’inquiéter. Je me dirigeai, en quittant le jeune fils de Township, vers une espèce de taverne où Tranquille et le romancier avaient coutume de s’arrêter au retour de la chasse. Pour y arriver, il me fallait traverser une partie du camp. La nuit était venue, et j’eus soin de me faire reconnaître des sentinelles, qui ne se seraient pas fait faute de tirer sur toute figure suspecte. La plupart des travailleurs étaient de retour, des feux s’allumaient partout, et devant chaque hutte des blutoirs de forme grotesque, des tamis, des machines sans nom dans la statique, sassaient et ressassaient les sables aurifères. Accroupis devant ces foyers, éclairés de feux rougeâtres et la figure crispée par les plus mauvaises passions, les chercheurs d’or ressemblaient plutôt à des démons qu’à des hommes. Cependant la fièvre de l’or ne régnait pas sans partage dans ce vaste pandoemonium ; de plus douces émotions n’y avaient pas perdu toute influence. J’ai dit que la caravane était composée d’émigrans de tous les pays. Parmi ces aventuriers, il en était qui n’avaient pas oublié les chants de la terre natale, et qui aimaient à les redire au milieu du silence