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jusqu’à posséder une réserve de quelques centaines de dollars. Grace à l’esprit commercial de l’Américain, les piastres se changèrent bientôt en quadruples, et, au bout de deux ans, le chef de la famille se trouvait presque riche. C’est sous la garde de cet homme à la fois hardi et patient que Township avait grandi ; il s’était promis de prendre exemple sur son père, et il avait tenu parole. Lui aussi avait eu hâte d’échanger les loisirs d’une vie sédentaire contre les périls d’une vie d’aventures. Il avait formé une nouvelle famille, une nouvelle colonie errante, et, au moment même où il me retraçait ainsi les événemens de sa vie laborieuse, il ne se croyait pas encore au bout de ses pèlerinages. C’était là parler en vrai squatter, et je me surprenais presque à admirer dans Township l’idéal de ces défricheurs infatigables qu’un instinct providentiel semble pousser à promener partout la hache et la charrue.

Ces entretiens avec Township, ces soirées passées au milieu de sa famille, étaient ma meilleure ressource contre le découragement. Je ne travaillais jamais avec plus d’ardeur qu’après m’être retrempé dans ces causeries familières. Notre travail, il est vrai, commençait enfin à porter ses fruits ; le romancier et moi nous exploitions le lit d’un torrent où chaque jour se révélaient à nous de nombreux dépôts de sables aurifères. Nous avions remonté pas à pas le cours du torrent, et, avec des instrumens bien inférieurs à ceux de la plupart des gambusinos, nous n’avions pas été moins heureux que les chercheurs d’or les plus expérimentés. Déjà cependant les travailleurs désertaient les bords du lac, fouillés et exploités en tous sens ; des détachemens partiels s’avançaient vers des terrains moins fatigués par la pioche. Le campement, désert le jour, finit par n’être plus habité que vers le soir, où tous les associés regagnaient, après de rudes journées de labeur, leurs cabanes ou leurs tentes.

Tranquille nous accompagnait toujours dans nos excursions lointaines, car les symptômes alarmans qui depuis quelques jours inquiétaient la colonie se prononçaient de plus en plus. La désunion s’était introduite parmi les associés, les maladies commençaient à décimer cette population épuisée par un travail incessant. À mesure qu’on récoltait plus d’or, on se montrait plus avide. En même temps, les guet-apens, les crimes se multipliaient. En sondant les rivières, en fouillant les ravins, on avait retrouvé bien des cadavres. Les solitudes ne rendaient pas toujours les malheureux qui s’aventuraient seuls à quelque distance du camp. Chaque nuit avait son alerte, et des bandits insaisissables réussissaient souvent à piller une tente, un chariot isolé, en dépit de la surveillance de nos sentinelles. Un fait remarquable, c’est que parmi les victimes de ces attaques, de ces assassinats, on ne comptait jusqu’à ce jour que des Américains. Des hommes de race espagnole qui se trouvaient avec nous, aucun n’avait été frappé. Était-ce donc une guerre à mort déclarée dans l’ombre par la race conquise à la