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de Township ; rappelez-vous qu’hier encore vous avez rencontré un homme qui n’a pas voulu coucher sous le même toit que vous.

— J’ai remarqué tout cela, et je cherche encore à m’expliquer…

— Tout cela est bien simple : Township sera peut-être dans l’obligation de vous tuer, et il a fait ses réserves.

— Me tuer ! Et que lui ai-je fait ?

— Township est un squatter, reprit gravement l’enfant, et un squatter n’en appelle jamais aux arpenteurs ni au shérif : il n’en appelle qu’à sa carabine et à son bon droit. Possession vaut mieux que titre, et Township possède Red-Maple. Voyez maintenant si vous voulez aller en avant ou retourner sur vos pas.

— J’irai en avant, et rien ne me fera reculer. J’ai été riche jadis : Red-Maple est aujourd’hui le seul débris qui me reste de ma richesse. J’aime mieux mourir pour la défense de mes droits que sous les coups de la misère. Avant ce soir, je ne serai plus de ce monde, ou j’aurai reconquis mon bien.

Je payai généreusement mon jeune guide. James fit un mouvement pour s’éloigner, puis il revint sur ses pas.

— En tout cas, me dit-il, si le squatter demande à voir votre titre, dites que vous l’avez laissé chez votre notaire ; c’est plus prudent.

Et après m’avoir donné cet avis presque à voix basse, comme si quelqu’un nous eût épiés, James éperonna son cheval, qui l’eut bientôt emporté hors de ma vue.


III

Resté seul, je tins conseil avec moi-même. Je m’affermis dans ma résolution de vaincre ou de mourir ; mais, avant d’affronter le danger qui me menaçait, je résolus d’étudier le terrain. Caché derrière un chêne dont les rameaux noueux touchaient presque le sol, je tirai ma longue-vue et je la dirigeai sur la plaine qui s’étendait à mes pieds. La Vallée des Érables, éclairée par le soleil couchant, m’apparut dans toute sa splendeur. C’était comme un lac de verdure auquel la brume dorée du soir prêtait des tons magiques. Une folle brise courait de la cime houleuse des catalpas et des tulipiers aux grandes herbes de la savane. Çà et là voltigeaient les cardinaux, les choucas empourprés, les piverts aux ailes d’or. Des oiseaux aquatiques se jouaient avec indolence dans les eaux de l’étang caressées par les derniers rayons du soleil. Le pluvier criard, l’huîtrier, le moqueur, saluaient l’approche de la nuit chacun dans son langage. C’était un mélange d’harmonies et d’aspects merveilleux, comme la nature américaine peut seule en offrir. On eût dit une vision de l’Éden.

Je m’oubliais dans une sorte d’extase en contemplant ce ravissant