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lequel pendait une chevelure en désordre, avait la mine d’un mendiant ou plutôt d’un bandit. Tous deux étaient munis de larges sébiles en bois qu’ils remplissaient de sable et qu’ils plongeaient avec mille précautions dans l’eau d’un ruisseau voisin, tamisant ensuite à travers leurs doigts le sable imbibé d’eau. Selon toute apparence, le plus éclatant succès couronnait les recherches du travailleur au manteau déchiré, car à chaque instant des exclamations joyeuses entremêlées d’actions de graces ferventes à tous les saints du paradis s’échappaient de ses lèvres. Le romancier le contemplait avec admiration ; mais le chercheur d’or, sans paraître le remarquer, continuait ses travaux, et de temps en temps adressait la parole à son compagnon en mauvais anglais. Il lui exprimait son chagrin d’être forcé de quitter le soir même un terrain si riche sans trouver un homme qui voulût l’acheter, et, tout en parlant, il faisait chatoyer entre ses doigts un grain d’or de la grosseur d’une amande. L’alcade paraissait ébahi ; quant au romancier, son enthousiasme ne connaissait plus de bornes, car le morceau d’or venait d’être extrait du sable sous ses yeux mêmes. « Et si je vous achetais ce terrain ! » s’était-il écrié en s’approchant des deux gambusinos ; puis à tout hasard il avait offert dix dollars : c’était tout ce qui lui restait. Le chercheur d’or avait long-temps hésité à conclure le marché ; mais, appelé, disait-il, par des affaires pressantes et le soin de son honneur à San-Francisco et contraint d’abandonner son placer, il avait enfin fini par consentir, en soupirant et en maugréant, à ce qu’il appelait le troc d’un million contre quelques piastres. Le romancier ne s’était pas senti d’aise à ce résultat inattendu, et il avait voulu nous installer sans retard dans l’Eldorado qu’il venait d’acquérir à si peu de frais.

Nous étions arrivés au placer en question. Nous déballâmes aussitôt la cargaison de pelles, de pioches et de tamis, qu’apportait notre chariot, et nous nous mîmes au travail avec ardeur, pendant que le Canadien dépouillait et dépeçait son gibier pour le repas du soir. À notre grande surprise, une heure, deux heures se passèrent sans que le moindre grain d’or eût brillé parmi les amas de sables soulevés par nos pioches, puis blutés et lavés avec un soin minutieux. La nuit était venue, et nous n’avions pas découvert encore la moindre parcelle précieuse. « Nous n’avons pas su nous y prendre, dit le romancier, dont rien ne déconcertait la bonne humeur ; demain, tout ira mieux. » Cependant la journée du lendemain s’écoula sans amener de meilleurs résultats ; le sol, fouillé en tous sens, ne nous offrit, comme la veille, que du sable et des cailloux. Quand l’heure du repas arriva, nous étions brisés de fatigue. De vagues soupçons que j’avais conçus sur la probité du vendeur de ce terrain se changèrent alors pour moi en certitude. Évidemment le romancier avait été dupe de quelque effronté fripon qui avait habilement exploité sa crédulité. Je fis part de mon opinion