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les tentes étaient désertes ; en un mot, il semblait que la passion de l’or eût dispersé tous les aventuriers comme un fléau contagieux. Personne n’avait pu modérer l’impatience que trois mois de route avaient excitée, et tous s’étaient élancés de différens côtés à la recherche des placeres, sans s’inquiéter de ce qu’ils laissaient derrière eux de précieux ou d’utile. Le romancier avait fait comme tout le monde. Les terrains aurifères de la Californie allaient le dédommager des déceptions qu’il avait éprouvées dans les marécages de la Virginie. Il fut un des derniers à revenir au camp.

— À la bonne heure, me dit-il en m’abordant ; on ferait ici bien des milles sans trouver un seul marécage, même quand on les chercherait. Le pays abonde en plaines sablonneuses, voilà qui est bien constaté.

— Est-ce là tout ce que vous avez découvert ? lui demandai-je en riant.

— C’est déjà quelque chose, car j’ai les marais en horreur. Et puis le sable indique la présence de l’or, et j’ai acquis la conviction que cet indice n’est pas trompeur : acquis est le mot, car, ajouta-t-il tout bas, je viens d’acheter un placer à beaux écus comptant.

— Acheter un placer ici, en Californie ! m’écriai-je, vous voulez rire.

— Pourquoi pas ? reprit le romancier ; quand on peut se procurer pour quelques écus des milliers de dollars, c’est toujours une excellente affaire. Nous allons quitter le camp, et ce soir nous bivouaquons sur l’or, voilà qui est arrêté.

Tranquille revenait au moment où le romancier allait entrer dans quelques détails sur son acquisition. Le chasseur rapportait un daim magnifique, et de plus il avait découvert la piste d’un ours brun, ce qui lui avait fait oublier la recherche du squatter. J’appris alors à mes compagnons la fuite du domestique, je leur fis part aussi de l’acquiescement de Township, et la seconde de ces nouvelles eut bien vite effacé l’impression désagréable causée par la première. Cependant il devenait impossible de réaliser notre plan, si l’on voulait avant tout exploiter le terrain acheté par le romancier.

— Bah ! s’écria-t-il, nous aurons toujours le temps d’aller rejoindre Township. D’ailleurs, l’or que nous allons trouver sera notre mise de fonds.

Tranquille attela le chariot commun, et nous nous dirigeâmes vers le terrain dont le romancier avait acheté la libre disposition. Chemin faisant, ce dernier me mit au courant des circonstances qui l’avaient déterminé à ce marché. Comme il errait en quête de quelque gîte d’or dans les plaines voisines du camp, il avait aperçu, assis au milieu des sables, deux hommes dont le costume bizarre ne pouvait appartenir qu’à des Californiens : L’un de ces hommes avait la tenue sévère et l’air respectable d’un alcade ; l’autre, vêtu d’un manteau déchiré, sur