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tous trois, le camp entier délibérait aussi par groupes séparés. Les sympathies qui s’étaient formées pendant un long voyage donnaient naissance à de nombreuses associations, à de petites communautés, qui se distribuaient déjà, comme un pays conquis, les endroits à exploiter, et sur lesquels elles projetaient d’élever leurs habitations respectives. Puis le camp ne tarda pas à être plongé, à la suite de ces délibérations et de ces préparatifs tumultueux, dans le calme d’un sommeil que les émotions de la journée rendaient nécessaire.

Ce sommeil fut bientôt troublé. Vers deux heures de la nuit, une des sentinelles mises de faction à quelque distance du camp donna l’alarme en déchargeant sa carabine. Les échos nombreux qui répétaient l’explosion nous firent croire à une fusillade, et en un clin d’œil tout le monde fut sur pied. Tranquille, l’un des premiers, s’élança du côté où l’explosion avait retenti. Un quart d’heure après, il était de retour, et nous comprîmes par son récit que les dangers que nous avions courus jusqu’alors n’étaient rien en comparaison de ceux qu’il nous restait à braver. Un dogue, qui veillait avec la sentinelle sur l’un des rochers voisins du camp, avait éventé avec l’instinct de sa race l’odeur des Indiens, et poussé des hurlemens qui avaient alarmé le factionnaire. Celui-ci avait regardé autour de lui avec inquiétude et fini par découvrir, dans la campagne éclairée par la lune, des cavaliers qui semblaient se diriger vers le camp, et qu’à leurs manteaux de peaux de bête il avait reconnus pour des Indiens. Il avait suivi avec attention tous leurs mouvemens. Les Indiens avaient fait halte à quelque distance du camp. À peine s’étaient-ils arrêtés, qu’un homme portant le costume mexicain avait passé près de la sentinelle, sans répondre à son qui vive, et s’était mis à courir vers les Indiens. La sentinelle avait fait feu ; elle avait vu les Indiens se disperser aussitôt, mais n’avait pu s’assurer si le Mexicain suspect avait été atteint. — Tranquille s’était décidé, avec son audace ordinaire, à pousser seul une reconnaissance dans la plaine ; il avait remarqué les traces des cavaliers indiens ; quant à l’homme signalé par la sentinelle, il ne l’avait pas rencontré. À l’entrée du camp seulement, il avait été rejoint par ce vaquero mexicain que nous avions sauvé sur les bords de l’Arkansas. Tranquille avait questionné le vaquero sur les motifs qui le faisaient veiller à pareille heure, et n’avait obtenu de cet homme que d’assez vagues explications. — Tout cela, dit le chasseur en secouant la tête, est d’un triste augure au commencement d’une campagne. — Ces paroles du chasseur ne laissèrent pas de nous causer quelque inquiétude, car nous savions par expérience que Tranquille se trompait rarement.

Tels furent les incidens qui signalèrent notre première nuit dans la Sierra-Nevada. Le jour brillait à peine, que, laissant le romancier et notre domestique commun à la garde de nos bagages, je sortis, accompagné