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une singularité remarquable, aucun ne franchit l’enceinte des montagnes pour se déverser dans l’océan. À la limite occidentale du plateau, du côté de la Mer Pacifique, la chaîne des Monts-Neigeux, la Sierra-Nevada, dresse vers le ciel ses blanches arêtes. À la base de la sierra s’ouvre un défilé qui mène les voyageurs, à travers mille détours, au pied des pics chenus dont le sommet atteint la région des neiges éternelles. Ce défilé est le Pas des Emigrans ; c’est la voie de communication naturelle entre le Grand-Bassin et les riches plaines baignées par le San-Joaquin et le Sacramento. Traversez ce défilé, franchissez les âpres versans de la Sierra-Nevada, et vous foulez enfin cette vallée dont les trésors sont aujourd’hui célèbres dans le monde entier, vous êtes au centre de la contrée aurifère vers laquelle tant de regards inquiets, tant d’espérances avides se tournent depuis quelques mois comme vers une terre promise.

Nous avions suivi la route que je viens de décrire, nous avions laissé derrière nous les plaines de Santa-Fé, les défilés sauvages de la Sierra-Madre, les solitudes arides ou fertiles du Grand-Bassin ; mais, arrivés sur les plateaux élevés de la Sierra-Nevada, nous avions fait halte. Nous étions les premiers à prendre la Californie à revers ; tandis que les émigrans venus par mer exploitaient les vallées du San-Joaquin et du Sacramento, et s’avançaient peu à peu du littoral vers la base occidentale de la sierra, nous jugeâmes préférable d’en exploiter les plateaux et les versans encore inexplorés.

Ce fut d’abord une halte tumultueuse. Près de trois cents aventuriers prenaient tout d’un coup possession d’une terre où il leur semblait déjà fouler l’or qu’ils étaient venus chercher de si loin et à travers tant de périls. On fit les apprêts du dernier campement avec une joie fiévreuse. En quelques minutes, les tentes furent dressées et les feux du bivouac brillèrent, comme des signaux de fête, sur les cimes désertes qu’enveloppaient les premières ombres de la nuit. Le romancier, le chasseur canadien et moi nous tînmes conseil autour de l’un de ces brasiers, comme les guerriers indiens à la veille d’entrer en campagne. Je commençai par décider Tranquille à rester avec nous en qualité de guide et de chasseur. C’était facile ; quels besoins avait-il à satisfaire ? N’avait-il pas, sur les sommets de la sierra comme sur les bords des grands fleuves ou au milieu des prairies de l’ouest, l’air pur, le ciel bleu et des terrains de chasse illimités ? Il fut ensuite décidé que nous chercherions, dès le lendemain, les traces du squatter et de sa famille, et que nous essaierions de former tous ensemble une association à la fois imposante et fructueuse. Le squatter avait dû suivre infailliblement le même chemin que la caravane ; restait à savoir s’il avait gagné la plaine, ou s’il avait, comme nous, préféré se fixer sur les hauteurs. C’était un point à éclaircir dès le lendemain. Pendant que nous délibérions