Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/220

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
214
REVUE DES DEUX MONDES.
LA REINE-MÈRE.

Je ne vois pourtant pas qu’il ait grand’soif de la revoir ! il m’écrit qu’il ne viendra pas. Ces amours-là, voyez-vous, ne sont que feux de paille. Il n’y a pas à glaner dans le champ du roi. La petite est trop occupée de latin, de grec et de son mari, pour avoir autre chose en tête. J’avoue pourtant que depuis cet été elle est moins gaie et plus souvent rêveuse…

Mme DE MONTPENSIER.

Cette mort de la reine d’Écosse…

LA REINE-MÈRE.

Non, même avant la mort de sa mère, et dès Amboise j’en avais fait la remarque… Mais, triste ou gaie, elle ne quitte pas mon fils. J’ai beau chercher l’heure de le rencontrer seul, dès que j’arrive, elle accourt. Toujours ce témoin entre nous ! et quel témoin ! Non-seulement elle écoute ce qu’on dit, mais elle devine ce qu’on ne dit pas ; et ce pauvre François, quand je ne suis plus là, accepte tout, croit tout, lui obéit comme à un oracle. Étonnez-vous donc que MM. de Guise lèvent si haut la tête !… Ce n’est pas, ma chère duchesse, que je sois possédée du besoin de gouverner. S’il ne s’agissait que de moi, je ferais comme il y a trente ans, je me tairais ; mais c’est du bien de mes enfans qu’il s’agit. Qui défendra leur héritage, si ce n’est moi ? Je ne les ai pas mis au monde pour les voir dépouiller. Hélas ! dites-le bien à vos amis de Bourbon, Jacqueline, c’est leur cause aussi que je défends ! S’ils m’abandonnent, tout est perdu pour eux comme pour nous. À eux seuls ils ne peuvent rien. Unis, nous pouvons tout. Qu’ils viennent aux états, qu’ils se lèvent hardiment de leurs sièges pour réclamer leur part dans le gouvernement du royaume, et nous l’emporterons. Vous le voyez, c’est en toute sincérité que j’ai dessein de m’allier aux princes. (Mme de Montpensier tourne la tête du côté de la fenêtre.) Écoutez-moi, duchesse…

Mme DE MONTPENSIER.

Pardon, madame, je croyais entendre le cortège… (Elle se lève, regarde à la fenêtre, puis vient se rasseoir à côté de la reine.) Mais non, le bruit est encore lointain.

LA REINE-MÈRE, continuant.

Le roi de Navarre a toute confiance en vous, il sait que vous lui parlez à cœur ouvert, écrivez-lui, et dès ce soir. Vous pouvez, sans qu’il en coûte à votre franchise, lui donner le conseil, le prier de venir aux états. Dites-lui que je n’accepte pas ses excuses, que j’ai besoin de lui, que je l’attends ; que les dangers dont on fait semblant de le menacer n’existent pas ; que, s’il en survenait, j’en ferais mon affaire. Pour le contenter lui et les siens, je suis résolue à tout : je fais ma paix avec le connétable, j’accorde aux Châtillon tout ce qu’ils convoitent, et Dieu