est vrai, mais presque aussi dur. Quand nous mariâmes le dauphin, je savais bien qu’il aimerait, qu’il idolâtrerait cette belle Marie ; mais comment prévoir que lui, mon premier-né, mon fils chéri, perdrait si tôt cette confiante affection qu’il m’avait toujours témoignée ?
Hélas ! madame, toutes les mères en sont là, et, pour ma part, je m’accoutume d’avance à m’y bien résigner.
Non, croyez-moi, les astres s’en mêlent ; il est écrit que j’aurai toujours affaire à des magiciennes. L’une avait la sorcellerie de se faire adorer malgré sa soixantaine, et celle-ci possède un philtre encore meilleur, ses dix-huit ans, ma chère duchesse, et cette grâce incomparable plus charmante encore, s’il est possible, que son charmant visage. J’ai beau lui en vouloir, et Dieu sait que j’en ai sujet, je ne puis me défendre d’en être fière. Je la déteste au fond de l’ame, quand je pense à ce qu’elle m’a fait de mon fils ; mais, si je la regarde, je ne peux plus que l’admirer. Tout à l’heure, j’en suis sûre, elle va nous paraître adorable.
Ce deuil blanc lui va si bien !
Si j’étais homme, je ferais comme ils font tous, j’en serais affolée. Que dis-je, les hommes ! Mon petit Charles, ma chère, ne fait-il pas des vers pour elle ? À onze ans ! si vous voyiez comme il la dévore des yeux ! Et ce pauvre Damville, et son ami Chastelard, et tant d’autres ! Je ne parle pas du roi de Navarre par égard pour vous, duchesse ; ce n’est pas qu’il en a chanté tant d’autres ! vous devez y être aguerrie.
J’avoue qu’il en tenait bien pour cette belle dauphine, et le laissait bien voir pendant les noces de Mme de Lorraine ; mais il n’était pas le seul, et son cher frère…
Condé ; vous croyez ?
Si je le crois ! Ne portait-il pas ses couleurs à ce malheureux tournoi ?
Belle merveille ! je l’avais nommé son servant.
Mais à Amboise, madame, au milieu de ce sanglant tumulte, quand il y allait pour lui de la liberté, de la vie peut-être, songeait-il à son péril ? Non, croyez-moi ; sa pensée comme ses yeux ne quittaient pas Mme la dauphine.