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assure de plus en plus à la Russie, prépondérance politique dans les conseils de leurs cabinets, prépondérance militaire sur le seuil de leurs territoires. En ce péril extrême qui menaçait l’année dernière les sociétés et les gouvernemens, la Russie seule s’est trouvée forte par son immobilité ; maintenant que le péril se dissipe, on s’aperçoit du profit qu’elle en a su tirer sans bruit, on la rencontre partout sur son chemin. Elle sera demain en Danemark, si le Danemark est menacé ; elle est dès à présent en Gallicie et en Transylvanie, et la prise récente d’Hermanstadt par le général Bern ne suffira pas à la décourager ; de nouveaux renforts s’avancent sur les principautés ; la vallée du Danube leur est tout entière ouverte. C’est encore la Pologne que la Russie combat en Hongrie, et ce combat vaut pour elle tous les sacrifices. Qu’aperçoit-on ainsi au bout de cette lutte désastreuse ? Ce n’est pas tant, il faut le dire, la restauration régulière d’un ordre général en Europe, la défaite des prétentions exagérées de l’esprit national ou de l’esprit de parti ; c’est aussi l’élévation croissante d’une influence naturellement hostile aux idées et aux libertés de l’Occident, c’est le progrès de l’ambition conquérante qui, d’année en année, s’approche davantage de Constantinople. L’occupation prolongée des pays moldo-valaques est un fait sur lequel nous ne pouvons assez revenir.

Ces pays commandent le cours du Danube jusqu’à Galatz ; ils sont une des voies de communication les plus importantes de l’Europe ; la Russie les a toujours convoités. C’est pour en écarter les Russes que Marie-Thérèse et son ministre Kaunitz consentirent en 1772 au partage de la Pologne. C’était pour s’y maintenir, comme il y réussit de 1806 à 1812, que l’empereur Alexandre consentit à laisser tomber sans objections les Bourbons d’Espagne. Vint enfin le traité d’Ackerman qui, en 1826, consacra le protectorat moscovite sur toute l’étendue des principautés danubiennes. Ce traité stipulait que les hospodars moldo-valaques seraient nommés pour sept ans, et révocables à la volonté des hautes puissances. Trois ans après, le traité d’Andrinople leur assurait une investiture viagère. La Russie demande aujourd’hui à la Porte d’en revenir aux termes du traité d’Andrinople ; il n’est pas difficile de voir dans quelles intentions. Nous comprenons bien que la Turquie ne se rende pas aisément à ces sollicitations dangereuses. Nous comprenons qu’elle préfère lutter encore plutôt que de céder ; elle n’est pas d’ailleurs un ennemi qu’on puisse impunément dédaigner. La Turquie n’en est plus à l’époque de Navarin ; elle pourrait mettre en mer aujourd’hui jusqu’à quarante vaisseaux dont huit ou dix à trois ponts ; elle a environ trois cent mille hommes disponibles, dont la moitié de soldats irréguliers qui ont déjà quitté les pachaliks d’Asie pour revenir sur Constantinople. Les finances ottomanes se sont considérablement améliorées depuis l’abolition des monopoles en 1838, et l’on a toute raison de supposer que Abbas-Pacha, reconnu comme gouverneur héréditaire de l’Égypte, apporterait toutes ses ressources à la disposition du sultan, auquel il vient de rendre hommage. L’Angleterre et la France ont déjà travaillé beaucoup en commun pour tâcher d’améliorer la condition de l’Italie et de sauvegarder dans cette contrée les intérêts généraux de l’Europe, qui les touchent si particulièrement. Lord Lansdowne s’en exprimait l’autre jour avec une loyauté dont nous remercions ce noble représentant des anciens whigs ; mais la France et l’Angleterre ont à l’autre bout de la Méditerranée des intérêts encore plus graves, et sur-