Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/184

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur soit séant d’en faire montre. Ils veulent par là se distinguer de la réaction ; hommes de paix et d’accommodement, ils proclament à peu près avec elle qu’ils n’entendent plus qu’on désorganise et qu’on agite ; ils ont la même horreur qu’elle pour les perturbations administratives et pour les scandales de la rue, mais ils ne sauraient se décider à rejeter complètement les systèmes qui rognent au hasard dans le budget, afin de le rendre plus démocratique, ou ceux qui fondent la démocratie sur la licence populaire. Cette contradiction a quelque chose qui sent encore les premiers temps de notre république, les premiers gouvernans qui l’ont conduite ; c’est toujours cette même naïveté d’amasser beaucoup de folies pour en extraire de la sagesse : on reconnaît là une éducation de la veille. Ceux qui l’ont reçue devraient seulement se garder aujourd’hui d’en être trop fiers. Il n’y a pas de quoi les servir beaucoup auprès du corps électoral, et lorsque la question est posée aussi nettement qu’elle va l’être entre la conservation et la destruction, ce n’est pas un bon moyen de succès d’avouer des intentions conservatrices sans désavouer les procédés destructeurs. Qu’importe ? on contrarie le ministère, et l’on s’imagine annuler ou discréditer dès l’abord la prochaine assemblée : agréable dédommagement pour des gens qui, après avoir perdu le pouvoir, ont encore à craindre de perdre leur mandat !

De ce point de vue, les débats parlementaires présentent cette quinzaine un intérêt spécial. Le budget a été l’occasion d’une petite guerre qu’il n’est pas mauvais d’étudier, pour se pénétrer davantage de l’esprit des hommes dont l’initiative a caractérisé la révolution de 1848. D’abord il est facile de voir, à la hâte avec laquelle on s’attaque au budget, que c’est un parti pris dans l’assemblée de 1848 de régler les vivres de l’assemblée de 1849. Ce premier budget de la république n’a pas même de rapporteur qui nous en déroule l’ensemble, et les budgets particuliers de chaque ministère sont loin d’être tous en état. On a discuté celui des travaux publics et celui de l’agriculture et du commerce ; combien y en a-t-il encore de prêts ? Il ne faudrait pourtant pas, à force de zèle, sabrer la besogne publique pour ne point la laisser à d’autres, et les rapporteurs des budgets en cours d’exécution devront se hâter beaucoup, s’ils veulent arriver avant le terme fatal. Autre remarque : on a saisi l’occasion pour renouveler encore le fameux parallèle entre l’administration financière de la république naissante et celle dont elle héritait. Nous croyions que M. Vitet avait ici même tranché la question, et qu’il n’y avait plus tant à se flatter d’avoir sauvé la patrie de la banqueroute, depuis qu’on savait à qui s’en prendre de cette extrémité. M. Garnier-Pagès et M. Goudchaux ont jugé à propos de rentrer en lice pour essayer encore une fois d’en sortir en montant au Capitole ; ils n’ont pas été à moitié de l’escalier. Nous ne doutons point de leur bon vouloir et de leur sincérité, mais ils ne comptaient pas assez à eux seuls pour l’emporter sur les nombreux collègues qui vidaient leurs caisses avec un si merveilleux ensemble, et les circonstances que leur faisait la politique de ces habiles collègues n’étaient pas de nature à combler les vides. M. Jules de Lasteyrie a touché du doigt le rapport intime qu’il y eut jadis entre le chiffre fatal de 45 centimes et la date émouvante du 12 mars, jour auquel M. Ledru-Rollin annonça dans ses circulaires l’intention de républicaniser la France. On alla par une pente irrésistible de la circulaire où la révolution s’étalait avec ses amplifications désastreuses jusqu’à l’impôt extraordinaire dont le taux, commandé par la situation, prouvait seulement combien les res-