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ne voudrions pas dire que celle-ci fit défaut ; nous aimons mieux croire qu’il éprouva cette déplorable hallucination qui fait voir aux Barbès de tous les pays le peuple souverain sous la figure de quelques centaines d’émeutiers. M. Montanelli eût cru forfaire à ses devoirs de patriote, s’il eût méconnu la volonté du peuple exprimée par les comparses habituels de M. Guerrazzi : il aima mieux manquer complètement à ses devoirs d’administrateur et, à la première émeute, tandis que le peuple s’emparait tranquillement de la ville au cri de vive la constituante ! M. Montanelli prenait le chemin de fer et allait à Florence présenter les vœux de ses administrés. Le grand-duc, toujours d’après le même système, renvoya son ministère, et, après quelques jours d’hésitation, finit par se livrer aux exaltés, espérant peut-être qu’après qu’il leur aurait tout donné, ceux-ci ne demanderaient plus rien. En cette circonstance, le grand-duc ne fut pas soutenu comme il aurait dû l’être par le parti libéral, qui se trouvait parfaitement en mesure de composer un nouveau cabinet. Le centre gauche de l’assemblée toscane eût pu, avec un peu de résolution, prendre en main les affaires que lui abandonnait le ministère Capponi. Ce n’est qu’en désespoir de cause, et après s’être adressé à MM. Salvagnoli, Ricasoli et leurs amis, que le grand-duc se détermina à accepter le ministère démocratique. Les modérés, pour expliquer leur manque de cœur, ont allégué qu’il valait mieux user aux affaires le parti exalté ; mais ils comptaient sans la jeune Italie, dont les exaltés n’étaient que les initiateurs.

M. Guerrazzi, qui dans toute cette affaire avait joué le rôle de souffleur, prit sa part du butin. En homme habile, il laissa à son collègue Montanelli les affaires extérieures et la présidence du conseil, et, visant au solide, il s’adjugea le ministère de l’intérieur. Une fois au pouvoir, il n’a plus songé qu’à s’y maintenir, et, comme il arrive en pareil cas, il a mis à le défendre la même ténacité qu’il avait employée à l’attaquer. Sa première pensée a été pour ses amis les Livournais. De peur qu’ils ne s’avisassent de recommencer contre lui les manœuvres auxquelles il les avait si bien dressés, le nouveau ministre, peu de temps après son installation, sur l’annonce d’un commencement de rumeur populaire, leur adressa une proclamation laconique et du tour le plus original, dans laquelle il les engageait à se bien conduire et à se rappeler que qui casse les verres les paie. Les Livournais se le sont tenu pour dit. Si le gouvernement provisoire qui a succédé au grand-duc s’est soutenu jusqu’à présent, il est certain qu’il le doit à l’énergie de M. Guerrazzi. Récemment, celui-ci est parvenu à se débarrasser d’un circolo nationale, club de démagogues qui, à l’instar de celui de Rome, gouvernait tyranniquement et imposait ses volontés au gouvernement. M. Guerrazzi, plus fourbe qu’eux tous, les a divisés ; puis, quand il a cru le moment propice, il s’est tout à coup tourné du côté de la garde nationale, a fait appel aux bons citoyens et les a expulsés. Petit à petit il s’est débarrassé de ses anciens complices en leur donnant des missions à l’extérieur. Évidemment, ce Cromwell au petit pied a un remarquable instinct politique et une valeur bien supérieure à son mystique associé, Montanelli. Celui-ci, homme à principes et fanatique, pousse une idée jusqu’à ses dernières conséquences. Après s’être montré partisan et admirateur de Pie IX jusqu’à l’exaltation, il a fait alliance avec l’école anti-catholique de Mazzini, dès qu’il s’est avisé que la papauté était un obstacle à l’unitarisme. Il est impossible que M. Montanelli, avec de pareilles tendances,