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d’être agréable aux Italiens empressés de rejeter sur tout autre que sur eux-mêmes la responsabilité de leurs désastres. M. Mazzini, comme tous ceux de son école, se montrait prodigue des plus fades adulations à la foule, et, pour justifier ses flagorneries révolutionnaires, ne craignait pas de démentir et de dénaturer des faits accomplis à la face de l’Italie entière ; il osait insulter avec une audace peu commune des hommes qui, après avoir soutenu des luttes pour la liberté, étaient allés verser leur sang en Lombardie et pansaient de glorieuses blessures alors que M. Mazzini les traitait de Machiavels d’antichambre.

L’un d’eux, M. d’Azeglio, lui avait répondu d’avance dans une brochure qui parut au même moment que celle de M. Mazzini[1]. Ce fut une heureuse coïncidence que celle qui mit en regard des emphatiques déclamations et des philippiques outrées de l’écrivain radical le langage simple et pratique, la droite et saine raison de l’un des plus illustres défenseurs du principe constitutionnel. Homme d’action en même temps que publiciste distingué, M. le marquis d’Azeglio s’est constamment montré sur la brèche depuis l’origine ; en toutes circonstances, il a soutenu les vraies doctrines libérales contre les excès en sens contraire de la réaction et de la démagogie. On l’a vu tour à tour, et avec un zèle infatigable, plaider la cause des réformes auprès du pape Pie IX et du roi Charles-Albert, puis lutter de toute la force de sa popularité et de son bon sens contre les exaltés de Florence et de Rome, alors qu’un grand nombre de ses propres amis ne voyaient encore dans l’agitation populaire qu’un moyen plus prompt de mettre l’Italie en possession de ses libertés constitutionnelles. Son esprit sagement progressif, impartial, précis et tout français, l’a préservé à la fois des découragemens auxquels s’est abandonnée l’ame noble et élevée de M. le comte Balbo, comme aussi des écarts de l’impétueux auteur du Primato. En un mot, M. d’Azeglio est resté la personnification la plus exacte de l’école libérale modérée, et son opinion a, en Italie, toute la valeur d’un programme politique. La brochure Craintes et Espérances était donc un manifeste opposé à un manifeste.

Comme si tout se fût réuni pour établir un piquant et complet contraste entre les deux ouvrages et les deux hommes, jamais peut-être la verve et la logique incisive qui caractérisent M. d’Azeglio ne s’étaient fait jour en une phrase plus mordante, plus correcte, plus concise (qualité rare chez les Italiens). Sa prose limpide et spirituelle, d’un tour qui rappelle Paul-Louis Courier, devait avoir facilement raison des périodes amphigouriques de M. Mazzini. Enfin, pour dernier trait, les circonstances dans lesquelles se trouvait chacun des deux écrivains donnaient lieu à des rapprochemens fort peu avantageux pour l’honneur de la république dans la personne de son chef. La retraite de M. Mazzini à Lugano avait scandalisé les Italiens, peu difficiles néanmoins en fait de courage ; personne n’ignorait au contraire que M. d’Azeglio avait fait la campagne en Vénétie avec le général Durando, qu’il avait eu la jambe fracassée par une balle à Vicence en défendant le Monte Berico avec deux mille hommes seulement contre douze mille Autrichiens, et qu’il n’était point encore guéri de cette grave blessure au moment où il écrivait. Aussi M. d’Azeglio avait-il qualité pour demander compte aux républicains de la conduite tenue par eux durant la guerre, et des

  1. Timori e Speranze, di Massimo Azeglio.