Page:Revue des Deux Mondes - 1849 - tome 2.djvu/149

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

va rendre le dernier soupir ; il rouvre les yeux, la voit, meurt consolé, et elle le suit de près dans le tombeau.

« Telle est l’histoire qu’on répète auprès de la forêt primitive, non loin de l’Atlantique aux flots lugubres, qui murmurent toujours. Ceux qui la redisent sont les enfans des exilés, les hommes qui sont revenus mourir sur le sol de leurs pères. Le rouet tourne encore dans la cabane, le grand bonnet normand flotte encore agité par les vents de la côte. Quand vient le soir, le meilleur raconteur dit cette histoire aux femmes pendant qu’elles filent, et la voix douloureuse de l’océan répond par sa plainte qui ne finit pas à ce triste récit des iniquités humaines et de l’affection d’une femme. »

On voit qu’il y a dans ce poème un mélange singulier du factice et du naturel, — deux élémens en contraste, le réel et le convenu, — l’un qui émeut le cœur par la vérité, — l’autre qui blesse l’esprit par l’affectation. Toute la portion vraiment américaine mérite des éloges. On est porté sur les grandes eaux du Meschacebé, et le chant de l’oiseau moqueur frappe l’oreille. Ce monde nouveau et grandiose n’est pas seulement décrit et analysé par le poète ; il le reproduit et surtout il en communique au lecteur le génie particulier, la sève vivante, l’émotion intime. C’est le champ de maïs aux grains dorés et écarlates, qui font rougir les jeunes filles pendant la moisson ; car chaque grain couleur de pourpre annonce un amoureux qui va paraître. Ce sont les vêpres de la mission, chantées au milieu des prairies ; le crucifix est attaché aux branches d’un vieux chêne, seul habitant de la solitude ; toutes les têtes sont découvertes ; le Christ les regarde d’un œil de divine pitié pendant que le chant des vêpres se mêle au frissonnement léger des rameaux dans l’air et que la vigne retombe en grappes sur le front du Sauveur crucifié. C’est le campement des chasseurs dans les mêmes prairies, au sein des océans de verdure et des baies profondes de végétation qui, mêlées de roses sauvages et d’d’amorphes pourprés, flottent comme des vagues dans l’ombre et dans la lumière. On y voit se précipiter par bandes les buffles, les loups et les daims sauvages, et des armées entières de chevaux qui n’ont pas de maîtres. Çà et là, près des rivières, sous des bouquets d’yeuses, la fumée qui s’élève annonce le camp des maraudeurs, qui teignent de sang les solitudes de Dieu ; sur leurs têtes, s’élevant et redescendant par cercles rapides, le vautour plane et attend sa proie. C’est la vie du fermier acadien, roi comme le bon Évandre ; quand revient le crépuscule, finissant la période du labeur et de la souffrance, ramenant l’étoile au ciel et les bestiaux à l’étable, — on voit les taureaux et les brebis, narines ouvertes pour savourer la fraîcheur du soir, le cou appuyé sur la crinière du voisin, s’avancer à pas majestueux ; le chien les suit, patient, plein d’importance, marchant de droite et de gauche, dans l’orgueil de son