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siècle l’Acadie ou la Nouvelle-Écosse fut cédée par nous aux Anglais, ces derniers eurent-ils beaucoup de peine à soumettre les pauvres Normands que le traité d’Utrecht leur livrait.

Le fait de la cession de l’Acadie, en apparence peu important dans nos annales, est grave dans l’histoire du monde. Il signale le premier moment de notre décadence monarchique et européenne, et celui de l’ascendant pris par la société britannique, représentant les forces septentrionales et le protestantisme du Nord. En 1713, après les imprudentes guerres de Louis XIV, le traité d’Utrecht commence l’affaiblissement de notre pouvoir. Nous perdons au sud Pignerol et les passages des Alpes ; au nord, les clés des Pays-Bas et la ligne de forteresses élevées par Vauban nous restent. Pendant le cours du XVIIIe siècle, nous nous débattons contre la décadence. En 1735, la Lorraine et le pays de Bar sont réunis à la France ; en 1739, nous occupons militairement la Corse ; Minorque est reprise en 1745 ; enfin, en 1748, nous parvenons à reconquérir un peu d’influence sur une portion de l’Italie ; mais ce ne sont là que des tentatives partielles, des efforts pour ressaisir un pouvoir qui s’en va. En 1713, nous cédons Terre-Neuve aux Anglais et cette petite et fertile Acadie dont il est question ; il est vrai que nous gardons encore à cette époque presque toutes les Antilles, le Canada, la Louisiane, c’est-à-dire l’Amérique du Nord tout entière, depuis l’embouchure du golfe Saint-Laurent jusqu’au Mexique. L’Angleterre de 1740 ne possède que la mince ligne de côtes qui va de Frederic’s Town à la Floride ; cela équivaut à peu près à la vingtième partie de nos possessions canadiennes. Toutes les côtes de l’Hindoustan sont encore à nous ; à cette même époque, les rajahs sont nos vassaux, et l’Angleterre n’est maîtresse dans l’Inde que de deux comptoirs imperceptibles. Madagascar, Gorée, le Sénégal, les îles de France, de Bourbon, Sainte-Marie, Rodrigue nous appartiennent.

Telle est encore la puissance de la France sur le monde au milieu du XVIIIe siècle. Cent années s’écoulent, tout s’écroule ; nos institutions changent ; aux drames extraordinaires de la révolution succède le régime phénoménal de Napoléon. Jetez les yeux sur la carte du monde en 1830 ; toutes nos possessions ont disparu, l’Amérique du Nord depuis le pays des Esquimaux jusqu’à Terre-Neuve ; — l’Hindoustan, en exceptant quelques lieues carrées de territoire. Nous avons perdu en Europe la ligne de forteresses qui nous protégeaient au nord, et au sud Minorque, position importante ; nous n’avons gagné que deux villes, Mulhouse et Avignon, — et un coin de l’Afrique, l’Algérie. Toutes nos forces se sont repliées en nous-mêmes pour suffire aux gigantesques luttes de nos guerres intérieures, à nos combats de tribune, à nos changemens de ministères et à nos tentatives de régénération sociale.

Cependant l’Angleterre a maintenu la paix intérieure de son territoire