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aperçoit la fin et le commencement de deux littératures, le berceau et le déclin de deux poésies, des ruines en poussière et une aube à peine naissante sur ces ruines. Les choses humaines ne se font qu’ainsi, par destruction et renaissance, par complication, alliance et connexité.

C’est un spectacle curieux que celui d’une race qui veut renouveler son patrimoine intellectuel, et qui, sans répudier les débris de l’héritage antique, cherche à se créer une littérature et une poésie personnelles. Irrégularité, bizarrerie, affectation, imitation, peu de simplicité dans les moyens, des effets cherchés et manqués, il faut s’attendre à tous ces malheurs et les excuser. L’oeuvre de M. Longfellow, aussi incomplète dans son ordre que nos romans chevaleresques du moyen-âge avec leur rhythme irrégulier et monotone et le défaut de proportions qui les prive d’une partie de leur valeur, n’en est pas moins digne d’examen et d’attention sérieuse. Nous avons reconnu dans ce poème, plus que dans toute autre création américaine, l’expression de ce culte du pays natal, de cet amour passionné pour le ciel et la terre d’Amérique, de cette énergie morale et de cet esprit d’entreprise indomptable qui caractérisent les républicains des États-Unis. Le sentiment de moralité, de pureté, l’amour du devoir, la sainteté des affections et de la famille, très profondément empreints dans le poème, en sont l’ame profonde et comme l’inspiration secrète. Tous les tableaux de paysage sont exacts ; non-seulement la fantaisie n’y a point de part, mais le sentiment qu’ils font naître est distinct, puissant, plein de fraîcheur, de nouveauté, de vie ; seulement le poète a rendu les contours de son dessin moelleux et élégans : l’énergie y a perdu.

En général, ce que l’on peut critiquer chez lui vient du vieux monde. Les marques de vitalité et de force appartiennent au monde nouveau. Il emploie trop de druides, de muses et de bacchantes ; la défroque de l’Europe ancienne et les atours mythologiques flottent gauchement sur les fraîches beautés de la fille des bois. Il a aussi trop de solennité et de mélancolie majestueuse. Un accent plus rustique et plus passionné eût mieux convenu aux mœurs ingénues de ces Normands transplantés sur les bords de l’Atlantique, dont il voulait retracer le souvenir. Évangeline, le nom de la jeune Française, son héroïne, est un premier contre-sens ; je parie que la Normande acadienne s’appelait Jeannette ou Marianne ; fille d’un brave et joyeux fermier de la colonie, elle ne rêvait guère aux beautés du clair de lune et n’en aimait pas moins son fiancé. Le vrai secret de l’artiste aurait été de trouver la grandeur de la passion dans les délicatesses naïves d’une ame rustique et de les accorder avec la grandeur de la nature ; il faut convenir que M. Longfellow n’a pas été jusque-là. La paysanne normande et catholique a disparu dans l’héroïne calviniste et romantique de sa création. Grace à cette transformation savante, empruntée aux