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ses aventures chez les infidèles et sa délivrance par les religieux mathurins. Le père, qui est enfin touché, consent à unir les deux amans ; mais, au bout de sept mois de bonheur, Damon meurt de mort subite, et la complainte finit par cette naïve réflexion, qui pourrait servir d’épigraphe à la vie humaine elle-même :

Hélas ! comme on regrette
Le court contentement !

Je relisais avec un demi-sourire cette ballade, où la puérilité de la forme n’avait pu détruire complètement la grace touchante du fond, et, songeant à tant de générations dont les voix l’avaient chantée, je me demandais quelle inspiration du génie pouvait se vanter d’avoir éveillé autant de rêves et troublé autant de cœurs que ce romancero de village transmis de la mère à la fille comme un évangile d’amour.

Les cris du nouveau-né m’arrachèrent à ma rêverie. Depuis long-temps déjà, ils se faisaient entendre ; mais Toinette, tout en se hâtant, voulait achever de mettre le couvert avant d’aller à l’enfant.

— Un instant, cri-cri, un instant, murmura-t-elle ; quand on est destiné à recevoir les gens, faut s’habituer à être servi le dernier.

— En voilà un huard qui n’aime pas qu’on landore ! fit observer le postillon en riant ; prends-y garde, Tona, car, comme dit le proverbe :

Ce qui s’apprend au ber
Ne s’oublie qu’au ver.

— Soyez tranquille, reprit-elle, les pauvres gens n’ont qu’à vivre pour prendre des leçons de patience.

Mais l’enfant n’avait point encore eu le temps de faire cet apprentissage ; aussi ses cris devinrent-ils plus persans. La grand’mère sembla prêter l’oreille. Soit que la voix frêle et claire du nouveau-né pénétrât plus facilement la sourde-muraille qui semblait l’envelopper, soit qu’il y ait dans les femmes qui ont été mères un sens caché que l’âge ni l’infirmité ne peuvent émousser, elle se redressa en criant :

— L’enfant appelle !

— J’y vais, grand’mère, dit Toinette en achevant précipitamment les derniers apprêts.

— L’enfant est seul ! répéta la fileuse d’un accent inquiet ; sur votre salut, Tona, prenez garde qu’il ne soit mal doué par votre faute !

La jeune fille, effrayée du ton de la grand’ mère, saisit une lumière, ouvrit la porte et traversa rapidement la petite cour. Je la suivis du regard au milieu de l’obscurité, et je la vis entrer dans une pièce du rez-de-chaussée, dont les fenêtres s’éclairèrent ; mais, presque au même instant, un grand cri se fit entendre, et elle reparut sur le seuil, les