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rieure laisse le libre usage de leur puissance. Est-ce encore l’état de la France ? Grave question que doivent se faire tous nos hommes d’état. Les grandes entreprises diplomatiques de Louis XIV sont-elles encore à notre taille ? Beaucoup en doutent. Nous aimons que le président de la république ait plus de confiance. Il croit que la France est encore capable d’avoir une grande diplomatie, c’est-à-dire une action au dehors ; mais il ne confond pas l’action avec l’aventure. « L’état de civilisation en Europe, dit-il avec beaucoup de raison, ne permet de livrer son pays aux hasards d’une collision générale qu’autant qu’on a pour soi d’une manière évidente le droit et la nécessité. Un intérêt secondaire, une raison plus ou moins spécieuse d’influence politique, ne suffisent pas ; il faut qu’une nation comme la nôtre, si elle s’engage dans une lutte colossale, puisse justifier à la face du monde, ou la grandeur de ses succès, ou la grandeur de ses revers. »

De même qu’il croit que la France est encore capable de diplomatie et qu’il détermine avec fermeté le cercle et la portée de la diplomatie ou des guerres que nous pouvons faire, le président croit aussi que nous sommes encore capables de philanthropie ; mais il en détermine également le cercle et la portée. Ne nous y trompons pas en effet : le socialisme a beaucoup discrédité la philanthropie. Beaucoup révoquent en doute l’à-propos de la philanthropie et son efficacité. Croyez-vous, disent-ils, qu’en cherchant à faire le bien des classes laborieuses, vous apaiserez l’envie que leur ont soufflée de détestables sophistes ? Vous ne ferez pas le bonheur des pauvres, parce que le bonheur se mesure sur le désir, et vous ne ferez pas non plus la sécurité des riches. Vous aurez beau donner beaucoup au pauvre ; comme vous retiendrez probablement quelque chose pour vous, il pensera toujours que vous lui retenez tout ce que vous ne lui donnez pas. Depuis le socialisme, tout bienfaiteur n’est qu’un voleur qui restitue la moitié de son vol pour s’assurer l’autre. Doctrines désespérantes que le président de la république réfute par la noble confiance qu’il garde en l’efficacité de la philanthropie ! Il ne fera pas de la philanthropie un prospectus de popularité ; il n’en fait pas un moyen de gouvernement : il en fait un devoir, et il croit que quiconque accomplit fidèlement son devoir a chance de n’être pas trompé dans ses espérances. « Prenons hardiment, dit-il, l’initiative de toutes les améliorations, de toutes les réformes qui peuvent contribuer au bien-être de tous ; et, d’un autre côté, réprimons, par la sévérité des lois devenues nécessaires, les tentatives de désordre et d’anarchie qui prolongent le malaise général. Nous ne bercerons pas le peuple d’illusions et d’utopies qui n’exaltent les imaginations que pour aboutir à la déception et à la misère. Partout où j’apercevrai une idée féconde en résultats pratiques, je la ferai étudier, et si elle est applicable, je vous proposerai de l’appliquer. »

Voilà la bonne philanthropie, parce qu’elle est libre, et parce qu’elle n’est pas hypocrite.

Nous remercions le président de la république de croire que la diplomatie et la philanthropie sont encore possibles en France, et que nous ne sommes pas voués à l’égoïsme au dedans et au dehors. Une nation qui ne peut pas améliorer le sort des populations et qui ne peut pas exercer d’influence au dehors est une nation en train de mourir.